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Interview

Jérôme Fourquet : «Wauquiez ne peut pas prendre le risque d’une contre-performance»

Selon Jérôme Fourquet de l’Ifop, le président de LR gagnerait à tenter un rapprochement avec la droite modérée de son parti.
Wauquiez lors de sa rentrée politique au mont Mézenc (Haute-Loire), le 26 août. (Photo Hugo Ribes.Item pour Libération)
publié le 16 septembre 2018 à 20h46

Pour le directeur du département opinion de l’Ifop, Jérôme Fourquet, la droite la plus modérée, tentée un temps par le ralliement à la majorité présidentielle, finira par revenir dans le giron de LR.

Alors que se profilent les élections européennes, la droite ne risque-t-elle pas d’éclater à cette occasion ?

Au sein de la droite, différentes sensibilités ont toujours coexisté. En leur temps, l’UDF et le RPR s’étaient affrontés sur la question européenne. Cette bataille s’était ensuite prolongée de manière plus feutrée au sein de l’UMP où, si une bonne partie de l’ancien RPR avait fini par être convaincue par la doctrine proeuropéenne de l’ancienne UDF, subsistaient des opposants à cette vision.

Cette situation prévaut encore aujourd’hui dans les rangs de LR. Pour autant, la droite n’a jamais éclaté sur cette question. En 1999, la liste Pasqua-Villiers avait affronté et devancé sur le fil celle menée par Madelin et Sarkozy, mais nous étions alors sur une compétition électorale passagère au moment d’un scrutin européen. Et d’ailleurs, cela n’avait pas été à l’origine d’un schisme fondateur entre les droites. Depuis la présidentielle de 2017 et le processus de recomposition politique qui en a découlé, une nouvelle donne s’est installée, avec la perspective d’une éventuelle scission des droites à l’occasion des européennes entre d’un côté le parti Les Républicains derrière Laurent Wauquiez et son discours très eurocritique, et de l’autre, la branche modérée et humaniste regroupée derrière Alain Juppé. Ce dernier avait ainsi indiqué qu’il était pleinement en phase avec le discours européen du président de la République. Les manœuvres d’approche avaient donc commencé dans l’optique d’un nouvel élargissement vers la droite de la majorité gouvernementale.

Cette perspective d’un «grand axe central», selon l’expression d’Alain Juppé, regroupant l’ensemble des défenseurs de l’Union européenne, reste-t-elle d’actualité ?

Jusqu’au début de l’été, ce scénario tenait effectivement la corde. On voyait bien les dissensions très fortes au sein de LR et l’attraction du camp présidentiel se faisait de plus en forte sur la droite modérée. Nous étions dans la suite logique du processus enclenché après la présidentielle. Sauf que depuis, il y a eu l’affaire Benalla, le ralentissement de la croissance, la désindexation des retraites et la détérioration de nombreux indicateurs économiques. Tout cela s’est traduit par un dévissage important de la cote de popularité du président de la République auprès de l’électorat LR. Dans une interview à la fin du mois d’août, Jean-Pierre Raffarin expliquait que trois scénarios se présentaient à sa famille politique. Le premier, la constitution d’une liste autonome, le deuxième, une liste large avec la majorité présidentielle, et enfin le dernier, un retour au bercail LR. A Bordeaux, il y a dix jours, lorsque Juppé a rassemblé ses soutiens pour tenter de trancher entre ces trois options, aucune position commune n’est sortie du conclave. Même si rien n’est encore acté, avec la chute de la popularité de Macron au sein de l’électorat de droite, la fenêtre d’opportunité semble se refermer, et il est de moins en moins évident pour les ténors de ce courant modéré de justifier auprès de leur base un ralliement à la majorité présidentielle.

Quel est l’espace pour une liste LR eurosceptique face à celles du RN (ex-FN) ou de Nicolas Dupont-Aignan ?

Dans la nouvelle situation que nous venons de décrire, Laurent Wauquiez peut être amené à changer un peu son fusil d’épaule. Jusqu’à présent, sa stratégie reposait sur l’hypothèse que la droite modérée allait s’affranchir pour aller vers La République en marche. Du coup, son orientation devait être très eurosceptique. Mais là se présente à lui l’occasion de réconcilier, même en façade et par simple souci de pragmatisme électoral, les différentes chapelles de la droite lors de ce scrutin. Les questions de la ligne à suivre et du choix de la tête de liste se posent alors à nouveau pour le président de LR. Il n’est plus aussi évident que sa campagne se fasse sur une ligne très eurosceptique. Pour conduire cette liste, les noms de Michel Barnier, de Damien Abad ou de Jean Leonetti sont évoqués. Un tel choix traduirait un changement de ton. Cela permettrait à la droite modérée de s’y retrouver, et donc de rester dans la maison commune. Cette option est d’autant plus plausible que les sondages ont montré qu’il n’y avait pas d’espace entre LR et LREM pour une liste autonome de droite modérée. L’option la plus probable, c’est donc que cette droite modérée finisse par sceller un accord de raison avec LR autour d’une ligne et d’une tête de liste consensuelles. Quitte à donner un peu plus d’espace aux partis de Marine Le Pen et de Nicolas Dupont-Aignan.

L’épisode Orbán et les atermoiements du Parti populaire européen (PPE) sur la condamnation du leader hongrois, en rapport avec la question migratoire, ne viennent-ils pas conforter la ligne Wauquiez ?

C’était son intuition jusqu’à présent. Avant même l’épisode Orbán. Mais aujourd’hui, compte tenu du climat politique intérieur, il n’est pas impossible qu’il tente de faire une synthèse. Comme cela a toujours été un peu le cas à droite. Et dans ce contexte, la question de la tête de liste sera évidemment centrale. Et puis Laurent Wauquiez, qui peine à asseoir son leadership, ne peut pas prendre le risque d’une contre-performance à l’occasion de ce scrutin. Il lui faut donc afficher le plus haut score possible face à Marine Le Pen et à LREM. Ce qui signifie qu’il lui faudra sans doute ménager la droite modérée si elle frappe à sa porte. Même au prix de certaines contorsions.