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Libération
Décryptage

L’entrée en Sénat de Benalla

Affaire Benalladossier
Deux mois après la révélation d’une vidéo le montrant en train de violenter des manifestants le 1er Mai sous les traits d’un policier, le «chargé de mission» de Macron est convoqué ce mercredi devant la commission d’enquête. Passage en revue des questions que les sénateurs pourraient lui poser.
Audition du général Eric Bio-Farina au Sénat dans le cadre de l’affaire Benalla, à Paris le 12 septembre. (Photo Albert Facelly)
publié le 18 septembre 2018 à 21h06

L'audition sous serment d'Alexandre Benalla se résumera-t-elle à un long silence ? Depuis une dizaine de jours, chacun fourbit ses armes. D'un côté les responsables de la commission d'enquête sénatoriale chargés de faire la lumière sur la première grande affaire de la macronie, qui ont exigé de pouvoir auditionner celui par qui le scandale est arrivé. De l'autre, Alexandre Benalla lui-même qui, soutenu par l'exécutif, a d'abord refusé de se rendre à sa convocation - ce qui l'exposait à une sanction pénale - avant de s'y résoudre de mauvaise grâce. «Je vais venir m'expliquer devant la commission d'enquête, mais elle n'a aucun droit. Elle bafoue notre démocratie», s'est-il insurgé sur France Inter, allant jusqu'à qualifier son président, Philippe Bas, de «petit marquis». Ambiance.

Dans un mouvement coordonné, plusieurs ténors de la majorité ont également tenté de discréditer le travail des sénateurs. Point d'orgue de cette offensive : un coup de fil de Macron à Gérard Larcher, président du Sénat, pour insister sur les limites institutionnelles de l'audition de son ex-collaborateur. Etrange façon de garantir la séparation des pouvoirs. «Le fait qu'il y ait une instruction judiciaire ouverte en parallèle d'une commission d'enquête parlementaire n'a rien d'exceptionnel, se défend auprès de Libération le corapporteur socialiste Jean-Pierre Sueur. C'est une audition comme une autre, on est calme et serein, on a du travail à faire.» Mis en examen notamment pour «violences en réunion», après avoir interpellé avec force un manifestant à Paris le 1er Mai, Benalla a aussi tenu à circonscrire par anticipation le périmètre de son audition, retransmise en direct à la télévision ce mercredi matin. «Je pourrai répondre à toutes les questions qu'elle me posera, sauf celles qui intéressent la justice», a-t-il prévenu. En clair, l'ancien chargé de mission annonce qu'il gardera le silence s'il estime que ses interlocuteurs empiètent sur le secret de l'enquête. Restent toutes les questions qui ne concernent pas directement les faits pour lesquels Benalla est poursuivi et qui entrent donc dans le champ de la commission d'enquête.

Quelle était sa fonction précise à l’Elysée ?

Les auditions des différents supérieurs hiérarchiques d'Alexandre Benalla se sont succédé sans permettre de saisir précisément l'importance des missions confiées à l'ancien chargé de mission. Couteau suisse de la chefferie de cabinet, véritable homme-lige d'Emmanuel Macron, ou les deux ? Alors que la commission a demandé la transmission d'un certain nombre d'éléments relatifs aux fonctions d'Alexandre Benalla au Palais, sa fiche de poste n'a toujours pas été remise aux parlementaires. Auditionné la semaine dernière, François-Xavier Lauch, chef de cabinet, a expliqué que sa mission était de l'assister pour l'organisation «des déplacements nationaux», «des déplacements non officiels du président de la République», «des événements au palais de l'Elysée» et d'assurer la «coordination des deux services de sécurité de l'Elysée». Tout en s'empressant de minorer cette dernière fonction, précisant qu'elle se déroulait «sous l'autorité du directeur de cabinet» et concernait surtout «des choses très administratives», comme le «parc automobile». Dans un long entretien au Monde, en juillet, Alexandre Benalla avait été beaucoup plus flou au sujet des missions occupées lors de sa prise de poste. Selon lui, son rôle se limitait alors aux «affaires privées du président de la République». Une mission pour laquelle il disposait d'une flopée d'attributions : habilitation secret-défense, passeport diplomatique, accès quasi total à l'Assemblée nationale, voiture et appartement de fonction. Une accumulation qui continue d'interroger sur son véritable rôle. Tous les membres de l'Elysée auditionnés l'ont répété en boucle : Alexandre Benalla n'était pas en charge de la sécurité du Président, réservée en théorie au groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR), un corps d'élite de la police.

A quel titre Benalla bénéficiait-il d’un permis de port d’arme ?

C'est l'angle mort des différentes explications fournies par l'Elysée et ses représentants. Si Alexandre Benalla n'avait pas la charge de la sécurité du chef de l'Etat, pourquoi disposait-il d'un permis de port d'arme au titre de ses fonctions ? Tout juste arrivé à l'Elysée, il essuie un premier refus du ministère de l'Intérieur. Alexandre Benalla se tourne alors vers la préfecture de police de Paris. «Je vois qu'on peut faire la demande en passant par le cabinet du préfet, en passant par la voie hiérarchique, c'est-à-dire Patrick Strzoda, a-t-il précisé au Monde. Il la transmet, sans l'appuyer. Après enquête, et considérant que ma fonction est exposée, on m'autorise à acquérir un Glock et à le détenir dans l'exercice de ma mission.»

Comme pour la fiche de poste de Benalla, la demande signée par Patrick Strzoda pour obtenir ce permis de port d'arme n'a jamais été transmise à l'Elysée malgré les sollicitations des sénateurs. Une situation d'autant plus troublante que l'armement du chargé de mission était loin de faire l'unanimité en interne. «J'étais extrêmement défavorable à ce qu'une personne privée puisse être armée alors qu'un dispositif de protection constitué de personnels extrêmement aguerris était présent», avait déclaré Frédéric Auréal, chef du service de la protection dont dépend le GSPR, devant la commission d'enquête sénatoriale fin juillet.

Quel était son rôle dans la réorganisation de la sécurité élyséenne ?

C'est sans doute l'un des sujets qui a suscité le plus de fantasmes depuis que le scandale a éclaté. Le fait qu'un ancien garde du corps se retrouve propulsé à seulement 27 ans au cœur d'une réforme aussi sensible que la sécurité du chef de l'Etat a irrité plus d'un haut gradé. «Je ne fais pas partie du club», a déploré Benalla pour justifier ces rancœurs. Dès l'élection d'Emmanuel Macron à l'Elysée, son irruption dans le dispositif chargé d'assurer sa sécurité avait déjà provoqué des remous parmi ceux dont c'est le métier historique, en particulier les hommes du GSPR. Dans son entretien au Monde, Alexandre Benalla n'a pas mâché ses mots contre les policiers d'élite. «Le GSPR, c'est l'enfant terrible de l'Elysée. Il y a des incohérences qui, pour moi, sont complètement incroyables». De quoi susciter quelques inimitiés. Pour pallier ces «incohérences», l'ancien chargé de mission a longtemps milité pour une sécurité présidentielle autonome, affranchie de la tutelle du ministère de l'Intérieur.

Auditionné par la même commission d'enquête, le chef du commandement militaire, Eric Bio-Farina, a expliqué que Benalla avait été sollicité pour participer à cette réforme en raison de son rôle «d'interface» entre les différents services lors des déplacements présidentiels. L'ancien chargé de mission a pourtant affirmé au Monde qu'il n'aurait eu aucune fonction dans le nouveau dispositif : «Je n'avais aucun intérêt à quitter le cabinet.»