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Libération
Analyse

Un feuilleton alimenté par les critiques en série… des macronistes

Affaire Benalladossier
Ces derniers jours, les proches de Macron ont pilonné la commission d’enquête, jusqu’à l’accuser de vouloir destituer le Président. Relancant une saga qu’ils voulaient oublier.
publié le 18 septembre 2018 à 21h06

Au sommet de l'Etat, on joue le grand air de la désolation. L'audition d'Alexandre Benalla devant la commission d'enquête du Sénat ? Rien d'autre qu'une «instrumentalisation», une «manœuvre politicienne» orchestrée par une opposition de droite incapable de s'attaquer aux «vrais sujets». L'Elysée assure n'avoir «aucun commentaire» à faire. Matignon renvoie aux nombreux chantiers ouverts, ces derniers jours, dans le domaine économique et social. De la loi Pacte sur les entreprises aux négociations sur l'assurance chômage, du plan pauvreté de jeudi au plan santé de mardi, il y aurait tant à dire sur ce qui «affecte très concrètement le quotidien des Français». «Tout ce qui nous détourne de ces sujets nous ennuie», proteste un proche du Premier ministre, certain que le cas Benalla «intéresse très peu les Français».

Putsch sénatorial

Pas question, en tout cas, de concourir au «feuilletonnage» voulu par le président de la commission d'enquête, Philippe Bas. Bizarrement, ce sont pourtant bien les ministres et les porte-parole de la majorité qui ont assuré, ces derniers jours, la promotion de l'affaire Benalla, saison 2. A en croire le patron de La République en marche, Christophe Castaner, on serait à deux doigts d'un putsch sénatorial. L'objectif de cette commission d'enquête ne serait-il pas de «faire tomber le président de la République» ? Le chef des marcheurs s'est posé la question, vendredi, lors d'une conférence de presse. La veille, l'Obs avait révélé que le président du Sénat, Gérard Larcher, avait reçu le 11 septembre un coup de fil du président de la République. L'entourage de Larcher a confirmé que l'entretien avait porté entre autres sur la commission d'enquête sénatoriale. Castaner, encore lui, a cru bon de justifier cet appel du chef de l'Etat, expliquant qu'il s'agissait simplement de «rappeler la séparation des pouvoirs», «l'essence même de la Ve République».

Pour motiver cette contre-offensive, on explique, chez les macronistes, qu'il n'était «pas possible de se laisser faire par l'opposition». C'est à la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, qu'a été confié le soin de porter la réponse du gouvernement. Dans une tribune publiée samedi dans le Monde, lue et relue par l'Elysée, elle soutient que cédant au «sensationnalisme» et aux «jeux politiques», la commission sénatoriale met en péril «l'articulation entre les pouvoirs de contrôle des Assemblées parlementaires et le respect de l'autorité judiciaire». Selon elle, la Constitution stipule que les commissions d'enquête parlementaire ont vocation à ne contrôler que «l'action du gouvernement». Enquêter sur la fonction présidentielle «reviendrait à rendre le chef de l'Etat, qui tire sa légitimité directement du peuple souverain, responsable devant le Parlement».

Belloubet fait également valoir que le principe de séparation des pouvoirs interdit au Parlement d'empiéter sur le domaine judiciaire. Contraindre le mis en examen Benalla à comparaître sous serment devant une commission parlementaire porterait atteinte à son droit à garder le silence. Des arguments bien connus par le fin juriste Philippe Bas, qui reconnaissait en juillet qu'une audition de Benalla ne pourrait être envisagée qu'avec «de très grandes précautions».

«Jouer au cow-boy»

Selon son entourage, Macron estime avoir donné «toutes les garanties de transparence» en autorisant les auditions des plus hauts responsables de son cabinet, notamment le secrétaire général, Alexis Kohler, le directeur de cabinet, Patrick Strzoda, et le chef de cabinet, François-Xavier Lauch. Pour l'Elysée, la commission sénatoriale a eu largement de quoi répondre aux questions relevant de sa compétence, celles qui concernent l'organisation de la présidence. Les autres, celles qui touchent au «comportement individuel» de Benalla, relèvent de la justice, et d'elle seule. Pourtant, selon un sondage Ifop pour la chaîne parlementaire, les Français, très majoritairement (76 %), trouvent justifiée l'audition d'Alexandre Benalla. Invité du journal de TF1 dimanche, le chef du Modem, François Bayrou, a ainsi considéré que tout avait été dit sur «cette affaire», «l'histoire d'un homme jeune qui se trouve porter des responsabilités d'organisation auprès du président de la République et qui se met à jouer au cow-boy».

Très contrariés de voir se prolonger en cette rentrée une affaire qu'ils croyaient derrière eux, les dirigeants de la majorité jurent n'avoir «aucune inquiétude» sur l'audition de l'ancien chef de cabinet adjoint. Mais cette sérénité affichée cache mal une réelle inquiétude sur ce que dira le «jeune homme», en qui le chef de l'Etat avait placé tant de confiance.