Alexandre Benalla ne s'est finalement pas retranché dans le silence. L'audition la plus attendue de la commission d'enquête sénatoriale a commencé par un quart d'heure de retard, qui a laissé craindre une désertion de dernière minute. Après ce moment de flottement, Alexandre Benalla arrive finalement au pas de charge, costume-cravate bleu nuit et barbe de trois jours parfaitement taillée. Son entrée dans la salle Clemenceau, au Sénat, provoque immédiatement une cohue parmi les photographes et journalistes présents, dont certains font le pied de grue depuis l'aube devant le palais du Luxembourg. En préambule, le président de la commission, Philippe Bas, commence par rappeler à Benalla qu'un faux témoignage sous serment est passible de cinq ans de prison et 75 000 euros d'amende. Le sénateur Bas pose également les limites de l'audition : «Comme nous le faisons avec toute personne mise en examen, il n'y aura pas de question sur des décisions qui relèveraient de la justice. En revanche nous avons à auditionner M. Benalla sur ses missions et les façons dont il les a exercées.»
Frictions avec policiers d’élite
Manifestement très bien préparé, l'ancien chargé de mission tient d'abord à exprimer son «profond regret» après les propos tenus récemment à l'encontre des membres de la commission, et notamment son rapporteur, qualifié de «petit marquis». «J'ai un profond respect pour le Sénat et les sénateurs», insiste celui qui s'apprête à passer sur le gril pendant près de trois heures. Souriant dans cet exercice périlleux et aidé de quelques notes, Alexandre Benalla va répondre à la quasi-totalité des questions posées.
A l'issue de son audition, pourtant, une zone d'ombre majeure subsiste sur ses attributions réelles auprès d'Emmanuel Macron. L'ancien chargé de mission continue d'affirmer qu'il n'assurait aucune mission de sécurité pour le chef de l'Etat : «Je n'étais pas le garde du corps d'Emmanuel Macron et je ne l'ai jamais été.» Ni son «siège» ni son «épaule», pour reprendre le jargon de la sécurité rapprochée. Problème : de très nombreuses photos le montrent collé au chef de l'Etat, à la place réservée habituellement aux policiers d'élite du groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR). Alexandre Benalla assure qu'il avait un simple rôle d'«interface» et de «facilitateur». Puis finit par révéler que cette place, au plus proche du Président, a causé des frictions avec les policiers d'élite, mais que ceux-ci ont fini par s'«adapter». Selon lui, il n'y aurait d'ailleurs jamais eu le moindre «incident» avec ses «camarades» du GSPR. «Si les policiers d'élite du GSPR et les gendarmes d'élite me craignaient, je serais assez inquiet pour la sécurité du Président», a-t-il ajouté, démentant aussi les rumeurs selon lesquelles il aurait eu accès aux fréquences radios protégées des policiers.
Contradiction flagrante
Autre incohérence évidente sur son statut : la question de son port d'arme. Sur ce point, les propos tenus sous serment par Alexandre Benalla devant la commission d'enquête apparaissent en contradiction flagrante avec les termes de son autorisation délivrée par la préfecture de police. Cette dernière mentionne en effet les «missions de police» de l'ancien adjoint au chef de cabinet. Or Benalla assure avoir demandé une arme pour sa propre sécurité. «J'ai fait une demande à titre personnel […] pour des motifs de défense personnelle.» A demi-mot l'ancien adjoint au chef de cabinet évoque des «menaces» dont il aurait été victime : «On est exposé, on passe dans les médias.» Puis tient à rassurer les sénateurs sur sa «parfaite connaissance» et sa «parfaite maîtrise» des armes à feu. Alexandre Benalla dit que s'il était équipé d'un Glock 43 c'était pour ses déplacements de son domicile à l'Elysée. Mais après plusieurs relances du corapporteur socialiste Jean-Pierre Sueur, il finit par révéler avoir aussi porté cette arme à plusieurs reprises à l'intérieur du palais et lors de déplacements officiels ou privés du président de la République, précisant qu'il ne l'aurait jamais sortie si Emmanuel Macron avait été attaqué. Avant de répéter une nouvelle fois : «Mon arme n'était pas liée à la sécurité du président de la République mais à ma sécurité personnelle.» Quelques heures plus tard devant la même commission, Yann Drouet, ancien chef de cabinet du préfet de police, le contredit pourtant : «Ce n'est pas pour sa sécurité personnelle que le port d'arme lui a été octroyé, c'est dans le cadre de ses missions.»