Après avoir menacé de sécher sa convocation devant la commission d'enquête du Sénat, Alexandre Benalla s'est montré particulièrement volubile. Sans pour autant lever toutes les contradictions apparues depuis le début de l'affaire. Après un quart d'heure de retard, qui a laissé craindre une désertion de dernière minute, il est arrivé mercredi matin au pas de charge, costume-cravate bleu nuit et barbe parfaitement taillée. Son entrée dans la salle Clemenceau provoque une cohue parmi les photographes et journalistes présents, dont certains font le pied de grue devant le palais du Luxembourg depuis l'aube. En préambule, le président de la commission, Philippe Bas, commence par poser les limites de l'audition : «Comme nous le faisons avec toute personne mise en examen, il n'y aura pas de question sur des décisions qui relèveraient de la justice. En revanche, nous avons à auditionner monsieur Benalla sur ses missions et les façons dont il les a exercées.»
Parfaitement préparé, l'ancien chargé de mission tient d'abord à exprimer son «profond regret» après les propos tenus contre la commission, et son rapporteur, qualifié de «petit marquis» : «J'ai un profond respect pour le Sénat et les sénateurs.»
Souriant dans cet exercice périlleux et aidé de quelques notes, Alexandre Benalla répond méthodiquement à chaque question. Pourtant, à l'issue de son audition, une zone d'ombre majeure subsiste sur ses attributions réelles. L'ancien chargé de mission continue d'affirmer qu'il n'assurait aucune mission de sécurité pour le chef de l'Etat : «Je n'étais pas le garde du corps d'Emmanuel Macron et je ne l'ai jamais été.» Sauf que de très nombreuses photos le montrent collé au chef de l'Etat, à la place réservée habituellement aux policiers d'élite du Groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR).
Alexandre Benalla assure qu'il avait un simple rôle d'«interface» et de «facilitateur». Cette position a bien causé quelques frictions avec les policiers d'élite, mais ceux-ci se seraient «adaptés» et il n'y aurait jamais eu le moindre «incident» avec ses «camarades». «Si les policiers d'élite du GSPR et les gendarmes d'élite me craignaient, je serais assez inquiet pour la sécurité du Président», a-t-il ajouté, démentant aussi les rumeurs selon lesquelles il aurait eu accès aux fréquences radios protégées des policiers.
Glock 43. Autre incohérence évidente sur son statut : l'épineuse question de son port d'arme. Sur ce point, les propos tenus sous serment par Benalla sont en contradiction flagrante avec les termes de son autorisation, délivrée par la préfecture de police de Paris. Cette dernière mentionne les «missions de police» de l'ancien adjoint au chef de cabinet. Or, Benalla assure au contraire avoir fait cette demande «à titre personnel», en raison de «menaces» dont il aurait été victime. Après deux refus du ministre de l'Intérieur, il obtient finalement l'aval de la préfecture. S'il disposait d'un Glock 43, explique-t-il d'abord, c'était uniquement pour les déplacements de son domicile à l'Elysée.
Mais après plusieurs relances du corapporteur, Benalla finit par admettre avoir aussi porté cette arme à plusieurs reprises à l'intérieur du Palais et lors de déplacements officiels ou privés du président de la République, précisant qu'il ne l'aurait jamais sortie si Emmanuel Macron avait été attaqué. Avant de répéter une nouvelle fois : «Mon arme n'était pas liée à la sécurité du président de la République mais à ma sécurité personnelle.» Une version de nouveau contredite quelques heures plus tard, devant la même commission, par Yann Drouet, ex-chef de cabinet du préfet de police. «Ce n'est pas pour sa sécurité personnelle que le port d'arme lui a été octroyé, c'est dans le cadre de ses missions, de sa fonction», a indiqué le haut fonctionnaire, précisant qu'en deux ans et demi passés auprès du préfet, il n'avait jamais reçu une autre demande de port d'arme de la part de la présidence de la République.
«Pré carré». Dernière grosse interrogation abordée par les sénateurs : le rôle présumé d'Alexandre Benalla dans le projet de réforme de la sécurité présidentielle. L'ex-chargé de mission a reconnu avoir participé à un groupe de travail sur le sujet aux côtés des chefs du commandement militaire et du GSPR. Mais le projet d'un nouveau service, défendu par Benalla, se serait heurté aux réticences de Beauvau. C'est en tout cas ce qu'avait expliqué l'ancien garde du corps au JDD, parlant d'une «opposition nette» du ministère de l'Intérieur . Face aux sénateurs, il a fourni des précisions sur cet événement. «Dès que le projet s'est ébruité, deux personnes ont défendu leur pré carré», a-t-il avancé, ciblant deux hauts fonctionnaires soucieux de «protéger leur périmètre», qui se seraient opposés au projet pour des «raisons corporatistes».
Après plus de deux heures sur le gril, Benalla est sorti «soulagé» de son audition. Mis en examen notamment pour «violences volontaires», l'ancien adjoint au chef de cabinet doit désormais être entendu par la justice.
Photo Albert Facelly