Mardi soir, le Parti socialiste s’est réuni, pour l’une des dernières fois de son histoire, à Solférino pour un bureau national (BN). Dans quelques semaines, ils migrent à Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne). Une longue page se tourne. Pas certain que les socialistes changent leurs habitudes. Ils maîtrisent à la perfection les coups de théâtre, les sorties fracassantes, les profondes bisbilles qui mêlent rancœur personnelle et désaccords politiques. Le nouveau maire du Mans, Stéphane Le Foll, a quitté le BN furieux, il a claqué la porte, après un énième désaccord avec la direction. L’ancien ministre de l’Agriculture, arrivé second lors du dernier congrès, ne facilite pas la tâche du nouveau chef, Olivier Faure, qui ne parvient pas à s’affirmer en nouveau patron du parti.
Un témoin nous a raconté une autre scène. Elle concerne un personnage de roman : Julien Dray. Le copain de François Hollande reste en première ligne. Il propose sa vision sur tous les sujets. Parfois, les socialistes l'écoutent, lui demande des conseils. D'autres fois, ils l'esquivent, se bouchent les oreilles. Mardi soir, les présents ont eu le droit à une envolée. Julien Dray estime que certains membres du PS le méprisent. Du coup, il a posé une question très sérieuse : «Qui parmi vous a inspiré une série qui est regardée par des millions de personnes ?» Une référence à la série Baron noir. Sa question a fait marrer les socialistes. La réponse : bien évidemment, personne à part lui-même.
Le combat n’est pas terminé
Mardi soir, les responsables socialistes ne se sont pas retrouvés (seulement) pour se faire des blagues ou claquer les portes. Mais pour discuter des élections européennes. La direction a proposé un texte, une ligne directrice, qu'elle a rédigé sous le regard de tous les courants. Il doit être enrichi d'ici la fin du mois, soumis au vote des militants le 11 octobre et approuvé par le conseil national dans la foulée. On a demandé à Julien Dray, candidat pour mener la liste socialiste, ce qu'il en pense : «Il est pas mal, on ne peut pas dire que c'est catastrophique.» Mais le baron noir propose un texte alternatif afin d'imposer certaines de ses idées, la direction l'étudiera dans les prochains jours.
Et Emmanuel Maurel ? : «Le problème du PS, ce n'est pas les programmes, c'est notre double langage, l'hypocrisie, on promet des choses et on fait le contraire une fois au pouvoir.» Sa manière de dire que le texte n'est pas mauvais, d'ailleurs plusieurs de ses propositions ont été retenues. Et c'est pour cette raison que Stéphane Le Foll a claqué la porte. Mais le combat n'est pas terminé pour le député européen, qui résiste pour le moment à la drague ouverte de Jean-Luc Mélenchon – le tribun souhaite l'accueillir au sein de La France insoumise. Emmanuel Maurel demande des garanties, comme celle de ne pas tomber dans les bras du Parti socialiste européen (PSE) qui abrite des «tendances beaucoup plus libérales que Macron».
«Un intergroupe»
Dans les prochains jours, on saura si Emmanuel Maurel et Julien Dray proposent un programme, chacun de leur côté, contre celui de la direction. Une sorte de nouveau congrès. Olivier Faure espère le contraire. Mercredi matin, il a invité la presse à Solférino pour présenter les grandes lignes du projet européen. Comme toute la gauche, il met en avant l'écologie. Il a également demandé un droit d'asile européen pour que «chaque pays prenne sa part». Les socialistes souhaitent «sortir du débat mortifère entre libéraux et souverainistes». Il argumente : «Ce débat a une conséquence : les souverainistes gagnent toujours. Il y a six mois, personne n'imaginait l'Italie tomber aux mains de Salvini : c'est fait.»
Olivier Faure ne ferme pas la porte aux autres familles de gauche, il est prêt à discuter, travailler sur des «luttes communes». Ça donne : «Dans la mondialisation il n'y a qu'une seule voie possible pour corriger ses effets : c'est la gauche. Nous lancerons la proposition à tous les groupes de gauche, au Parlement européen, de constituer un intergroupe.» Le premier secrétaire prévient : «Il faut arrêter de dire que nous sommes irréconciliables.» Olivier Faure sait que construire une liste commune à gauche pour les Européennes s'annonce compliqué, il a en ligne de mire les municipales, en 2020. En attendant, dans les prochains jours, il doit faire valider son texte et désigner une tête de liste. Des belles soirées en perspective.