Depuis plusieurs années, le métier de chauffeur routier est considéré comme «en tension». Comprenez : les entreprises peinent à recruter des conducteurs aptes à l'emploi. Selon Jean-Louis Delaunay, secrétaire fédéral Transports à la CGT, il en manquerait plus de 30 000 en France. Pour Florence Berthelot, déléguée générale de la Fédération nationale des transports routiers (FNTR), quelque 22 000 personnes manquent dans tout le secteur. «Mais il ne suffit pas pour autant de traverser la rue pour trouver des conducteurs», plaisante le responsable syndical CGT, faisant référence à l'échange du président de la République avec un chômeur ce week-end.
«La profession a beaucoup évolué ces dernières années. Auparavant, on demandait en gros à un chauffeur d'avoir des gros bras et rien dans la tête. Aujourd'hui, pour conduire un camion il faut remplir des papiers, faire de la logistique… Puisque les expéditeurs souhaitent être de plus en plus informés de l'endroit où se trouvent leurs marchandises, il faut gérer l'informatique aussi, explique Jean-Louis Delaunay. Il y a donc des besoins de formation complémentaire dans le secteur.»
Guillaume H., à la tête d'une petite entreprise florissante de transport dans le Morbihan, dresse le même constat : «Un chômeur ne peut pas devenir chauffeur routier du jour au lendemain.» Son arrière-grand-père a fondé la PME de travaux agricoles au siècle précédent, et lorsqu'il l'a reprise, le jeune entrepreneur a décidé en 2011 de développer des activités de transport routier, pour «palier aux difficultés du monde agricole». Problème : il ne parvient pas à recruter de conducteurs. «Nous avions régulièrement deux ou trois camions arrêtés, faute de gars pour les conduire, alors que nous cherchions des CDI payés environ 2 500 ou 2 600 euros net», explique-t-il. Florence Berthelot, de la FNTR, abonde : «Durant l'été, on a été alerté par plusieurs entreprises qui ne pouvaient pas occuper certains marchés, faute de conducteurs.» Même lorsque Guillaume H. trouve des candidats, ceux-ci ne parviennent pas à obtenir les formations nécessaires, «faute de financement», explique-t-il.
«Aucun camion sur le parking»
Pour la première fois depuis des années néanmoins, il est au complet à cette rentrée. «Aucun camion ne reste sur le parking», se réjouit-il. Cela s'est fait au prix d'intenses recherches sur les réseaux sociaux et dans les agences d'intérim pendant deux mois. «Et pas par Pôle emploi, qui n'a pas de réelles solutions, notamment sur les budgets de formation», regrette-t-il.
Si tous s'accordent à dire qu'il manque des conducteurs routiers en France, ils ne parviennent pas pour autant à s'entendre sur les raisons de ce désamour pour le métier. Pour Jean-Louis Delaunay de la CGT, c'est d'abord une question de rémunération. «Depuis le 1er avril, dans la convention collective, le coefficient le plus haut est à 10,21 euros brut de l'heure. Il est de 11,0268 euros après quinze ans d'ancienneté dans la même entreprise. Ce n'est pas assez pour attirer de nouveaux conducteurs, car les conducteurs peuvent aussi être amenés à travailler la nuit ou à ne pas rentrer chez eux. Nous, ce que l'on demande, ce sont des grilles complémentaires. A l'instant T, il manquerait 5% de rémunération», explique le délégué syndical. S'ajoute à cela le prix d'accès aux examens de conducteur routier qui ne facilite pas l'accès à l'emploi : «De 10 000 euros environ aujourd'hui avec les formations, contre 6 500 francs en 1985.»
«Noircir le secteur avec le développement durable»
Florence Berthelot, elle, estime l'argument salarial «inexact». Selon la déléguée générale de la fédération patronale, les conducteurs souffriraient surtout d'une mauvaise image. «Quand on pense aux conducteurs, les gens ont en tête le Salaire de la peur. Les pouvoirs publics ont aussi tendance à noircir le secteur avec les questions du développement durable. C'est un métier qui est souvent vu plus pénible qu'il n'est en réalité», juge-t-elle. Si le métier est parvenu à se maintenir au cours de la crise de 2008, le ralentissement des embauches couplé au vieillissement de la population du secteur a également contribué à cette pénurie de chauffeurs.
Reste que pour toutes ces raisons, Guillaume H. hésite encore aujourd'hui à développer son activité. «On ne sait plus trop s'il faut le faire. On n'a pas vraiment envie d'augmenter le nombre de camions si c'est pour qu'ils restent à l'arrêt dans le parc», conclut l'entrepreneur.