Les adieux ne seront pas déchirants. Entre eux et lui, persiste un respect prudent, eu égard à ses états de service d’ex-Premier ministre, aussi marqués par ses rivalités passées avec Emmanuel Macron. Que Manuel Valls parte pour Barcelone n’émeut guère les députés LREM, qui ne l’ont jamais vraiment vu comme l’un des leurs.
«Leçon de morale»
Après sa victoire à l'arrachée aux législatives de 2017, le rescapé de l'Essonne a obtenu son intégration au groupe majoritaire en tant que député apparenté, lors d'un vote à main levée. Depuis, Valls a assisté régulièrement aux réunions de groupe, n'hésitant pas à s'exprimer : pour soutenir Gérard Collomb sur la loi «asile et immigration» ou sur ses sujets de prédilection, l'antiterrorisme et la laïcité, quitte à braquer des collègues plus nombreux à prêcher la modération. «Ses interventions tenaient de la leçon de morale, il impressionnait autant qu'il agaçait», tacle l'un d'eux. «Il a joué le jeu, a été loyal et impeccable, on l'écoutait», le défend un pilier du groupe, qui a peu apprécié «la façon dont on l'a intégré du bout des lèvres, en lui faisant sentir qu'on lui donnait l'aumône». Avec sa voisine d'hémicycle Marie Lebec, à qui il a donné quelques conseils au départ, il a évoqué avant l'été sa candidature possible «sur le ton de la plaisanterie» : «Je ne pensais pas vraiment que ça se concrétiserait. Je souhaite qu'il réussisse mais je perdrais un collègue agréable», dit-elle. Pour le groupe, il reste toutefois un «électron libre», réglo peut-être, mais ne parlant qu'en son nom.
«Cocooné chez nous»
Cela n'empêche pas les députés LREM de lui trouver du courage dans son entreprise catalane. «Il relève un défi novateur. Je ne juge pas trop les aventures parce que je sais qu'elles peuvent être victorieuses à la fin», salue Sacha Houlié, allusion au pari tenté en son temps par Macron. Quant aux quinze mois que Valls a passés au chaud à l'Assemblée, «ce n'est peut-être pas très élégant mais c'est son sujet à lui, pas le nôtre», renvoie le député de la Vienne. En off, certains se disent «pas fanas du procédé» : «Il a été cocooné chez nous, c'est maladroit et désagréable», dit l'un. Un autre déplore de le voir «courir plusieurs lièvres». Mais le même se montre compréhensif sur le dilettantisme de Valls, plaidant la difficulté pour un membre éminent du gouvernement de redevenir simple député… Et de citer le cas de l'ancien ministre Stéphane Le Foll, qui a quitté son siège de député PS pour la mairie du Mans. Sauf que la ville briguée par Valls ne se situe pas exactement dans le périmètre de sa circonscription. Dimanche, sur BFM TV, l'ancien président de l'Assemblée François de Rugy s'est dépatouillé en y voyant une «forme de citoyenneté européenne concrète».
L'opposition, elle, rappelle que le futur candidat qui poste, sur Twitter, une photo de ses pieds sur les carreaux barcelonais n'a pas foulé ceux du Palais-Bourbon depuis des semaines. «On ne peut pas être élu de la République française et en même temps mener une campagne à Barcelone», juge ainsi Valérie Rabault, patronne des députés PS. La France insoumise (LFI), battue de peu aux législatives face à Valls, demande qu'il lâche tous ses mandats, y compris celui de conseiller municipal d'Evry, et qu'une partielle ait lieu : «On lui met la pression pour une démission intégrale. Il a fait un tour de piste à l'Assemblée, ce n'est déjà pas très digne, il est grand temps que ça s'arrête», prévient le député Alexis Corbière.
Mais la majorité rechigne à embrayer sur ces appels à la démission. On l’a connue plus prompte à vanter de nouvelles pratiques et l’idée que les politiques n’étaient pas là pour servir leur carrière. La plupart des marcheurs veut croire que Manuel Valls, qui a porté la loi sur le non-cumul des mandats en 2013, abandonnera son siège de lui-même. L’un d’eux confie aussi que, quitte à être gêné, son groupe a déjà eu fort à faire dernièrement pour justifier la fracassante déclaration de candidature, à Lyon pour 2020, de Gérard Collomb, le ministre ne s’étant pas gêné pour fixer lui-même le terme de son bail place Beauvau. On ne peut pas être partout.