Ce mensonge-là, un énorme mensonge, risque de coûter très cher à Tariq Ramadan. Depuis que «Christelle», la deuxième femme à avoir porté plainte contre lui en octobre 2017, l’accuse de viol, l’islamologue a toujours nié avoir eu des relations sexuelles avec elle. Révélée par un rapport d’expertises informatiques que Libération a pu consulter, une série de SMS (plus de 400) échangés de septembre à décembre 2009 prouve le contraire et fait s’effondrer la ligne de défense radicale (et très imprudente au vu des révélations) du prédicateur. «C’est un tournant dans cette affaire. Lors de la confrontation de la semaine dernière, Tariq Ramadan a encore traité ma cliente de folle et de menteuse. Il devra s’expliquer», soutient Me Eric Morain, l’avocat de Christelle.
Ces échanges, souvent très crus du côté de Tariq Ramadan, confirment d'abord leur rencontre le 9 octobre 2009 à l'hôtel Hilton de Lyon. «Alors, alors. Tu viendras, tu es prête. Je devrais t'attendre au restaurant en bas car il faut une carte pour monter dans l'ascenseur», écrit Tariq Ramadan à Christelle ce jour-là, en début d'après-midi. Pendant l'enquête, le théologien musulman avait certes reconnu l'avoir rencontrée dans le lobby du Hilton. Mais c'était tout. Il soutenait qu'ils s'étaient quittés au bout d'une vingtaine ou trentaine de minutes, lui refusant le selfie que Christelle proposait. Ramadan niait surtout catégoriquement qu'elle soit montée dans sa chambre, qualifiant de «pure affabulation» les accusations de la quadragénaire. Un peu avant seize heures, il lui écrit pourtant : «J'étais sous la douche mais attends ma douce chienne.»
Mais il y a bien plus grave pour Tariq Ramadan. Le lendemain de leur rencontre, il lui envoie un message très inquiet : «J'ai senti ta gêne… désolé pour ma "violence", j'ai aimé… Tu veux encore. Pas déçue ?» Trois et heures et demie plus tard, il insiste encore : «Tu n'as pas aimé… Je suis désolé […]. Désolé.» Rien d'explicite, en somme, mais les allusions accréditent une relation violente qui, au minimum, a très très mal tourné.
«Je veux te baiser et te gifler»
Ces messages étaient déjà connus. Lors de l’enquête, Christelle avait fourni des captures d’écran de ceux-ci. Mais leur authenticité n’était pas avérée. Le 18 septembre, confronté à Christelle, Tariq Ramadan soutenait toujours qu’il n’en était pas l’auteur. Là aussi, il a manifestement menti. La preuve a été apportée par l’expertise informatique d’un vieux téléphone portable appartenant à Christelle. Elle l’a retrouvé, selon une source proche du dossier, en février ou mars 2018, au fond d’une caisse à outils.
Les échanges authentifiés révèlent une relation trouble, à la connotation sexuelle très claire. Quelques semaines avant leur rencontre à Lyon, Tariq Ramadan envoie des SMS très crus à Christelle. Le 2 septembre, il lui fait des propositions sexuelles très explicites et violentes : «Te gifler, te sodomiser, te frapper les fesses, te peloter, te saisir les cheveux et enfoncer ma queue à t'étouffer.» Le ton est le même, une semaine plus tard : «Je veux te baiser et te gifler. Te pisser dessus et te forcer à lécher.»
Christelle prend-elle peur, alors que leur rendez-vous à Lyon se précise ? Visiblement. Elle fait des recherches sur Internet. Fin septembre, il y a beaucoup de tension entre eux. La jeune femme a découvert sur un site belge des confidences de femmes qui accusent Tariq Ramadan de violences et d'abus sexuels. Elle lui en fait part. Tariq Ramadan s'en défend comme il peut. «C'est une femme qui alimente ce site avec des tonnes d'identité, et Ian Hamel, le journaliste suisse», tente-t-il de se justifier.
«Tu es reparti indemne mais pas moi»
Le théologien s'inquiète que Christelle ne veuille plus le rencontrer. Pour se défendre, il évoque un complot : «On essaie de me piéger. C'est pas nouveau… si tout ça était vrai, je serais tombé depuis longtemps.» Il réussit manifestement à calmer les inquiétudes de la jeune femme. «N'aie pas peur, je ne sais pas la violence», lui écrit-il le 30 septembre. Dans un autre SMS, il l'assure qu'il y «aura de la douceur mais je veux que tu sois chaude, offerte, libre, cochonne».
Christelle est-elle rassurée ? Ou agit-elle sous emprise ? La jeune femme se rend bien au rendez-vous du Hilton. Entre eux, le ton, en revanche, change radicalement après la fatidique rencontre. «Le désir est une chose mais toi tu es reparti indemne mais pas moi. Percutes [sic] ! Percutes que tu as un prob», écrit Christelle au prédicateur. Elle affirme qu'elle a des rapports médicaux qui prouvent les violences subies : «J'attends depuis le 9 tes excuses plates et sincères ! Ils ont halluciné à l'hôpital en voyant mon anus déchiré.»
Tariq Ramadan lui réplique qu'elle n'a jamais demandé d'excuses. Et finalement s'exécute : «Pour tout, je te demande de m'excuser vraiment.» Rien n'y fait. Christelle a pris contact avec d'anciennes maîtresses de Ramadan. «Je ne laisserai aucune autre femme se faire déchirer comme tu l'as fait avec moi. Je n'en ai rien à perdre et je sacrifierais ma vie, s'il le faut, tues moi [sic]», lui signifie-t-elle.
«J’ai parlé à mon avocat, va de l’avant et tu verras»
Fin octobre, Christelle lance un blog. Le ton monte encore avec Tariq Ramadan. Il la traite de «menteuse». «Ne joue pas aujourd'hui à la victime», lui enjoint-il. Le théologien cherche à la faire taire, la menace : «J'ai parlé à mon avocat, va de l'avant et tu verras. C'est un choix. J'ajoute rien mais mon avocat t'attaquera sur les dommages et intérêts et il m'a dit [que] pas moins de 300 000 euros seront exigés.»
A Paris, Christelle rencontre, à la mi-novembre, l'essayiste Caroline Fourest à qui elle se confie. Elle assiste à l'émission Ce soir ou jamais de Frédéric Taddeï, quand l'essayiste débat avec Tariq Ramadan. Celui-ci est furieux. Le 20 novembre, il envoie ce SMS à Christelle : «Un jour peut-être vous saurez le vrai soutien de Fourest aux sionistes qui tuent les Palestiniens. Ils me haïssent pour cela. Votre égoïsme et votre combat de femmes vexées seront à mettre à l'échelle de cette lutte. […] Si Fourest est votre amie, Dieu sera votre ennemi.»
Au vu des expertises informatiques, les juges ont rejeté, mardi, la demande de remise en liberté de Tariq Ramadan, qui risque fort de rester encore longtemps en prison.