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Libération
Interview

«Le chlordécone est un vrai scandale d’Etat»

L’eurodéputé Eric Andrieu milite pour une nouvelle réglementation contre les effets du pesticide, qui cause des ravages aux Antilles.
Vue de la plantation de bananes de la commune Le Carbet en Martinique, en novembre 2015. (Photo Pascal Pavani. AFP)
publié le 26 septembre 2018 à 20h36

L’eurodéputé PS Eric Andrieu préside la commission spéciale pesticides au Parlement européen. Il demande à la France de mieux protéger la population des ravages causés par le chlordécone, ce pesticide autorisé entre 1972 et 1993 aux Antilles françaises pour lutter contre le charançon du bananier.

Le chlordécone est-il un scandale sanitaire comparable à celui de l’amiante ?

Oui, c’est un vrai scandale d’Etat. Alors qu’il a été prohibé dès la fin des années 70 aux Etats-Unis, ce pesticide, sous la pression des lobbyistes, n’a été interdit en France qu’en 1990 et utilisé jusqu’en 1993 aux Antilles par dérogation. Le problème est qu’à l’instar du glyphosate ou de l’amiante, cette substance ne disparaît pas du jour au lendemain. Ce véritable poison, extrêmement néfaste pour la santé humaine et l’environnement, produira des effets sur plusieurs générations. D’après des scientifiques de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, environ 90 % des Antillais seraient contaminés, situation inédite qui fait que des épidémiologistes, des généticiens ou des cancérologues du monde entier s’y intéressent. Les Antillais détiennent le record du monde de cancer de la prostate. On retrouve du chlordécone un peu partout, notamment dans les poissons, crustacés, mollusques et autres produits de la pêche en mer ou en eau douce. C’est très préoccupant car on retrouve de hautes concentrations de résidus de chlordécone dans ces aliments lorsqu’ils proviennent de zones contaminées.

Que préconisez-vous ?

Au-delà des procédures judiciaires en cours contre l’Etat français pour faute lourde, il est urgent que le gouvernement mette en place un plan préventif prévoyant notamment la prise en charge des femmes enceintes et personnes en bas âge exposées à ce poison. Il est aussi urgent d’abaisser les seuils maximums de résidus (LMR) présents dans notre alimentation. J’ai, à ce titre, saisi en juin la Commission européenne. Celle-ci a répondu qu’aujourd’hui, les LMR ne sont pas encore fixées au niveau européen en raison d’absence de méthode d’analyse uniforme au sein des Vingt-Huit. Il incombe donc à la France de prendre ses responsabilités. Dans notre pays, les LMR de chlordécone dans les produits de la pêche sont fixées à 0,02 mg / kg alors que dans certains pays européens cette limite est fixée à 0,01 mg / kg. Cherchez l’erreur !

La France et l’Europe ne nous protégeraient donc pas assez des pesticides ?

Non. Le scandale des «Monsanto Papers» et du glyphosate a fait apparaître des failles dans le système d’homologation des pesticides en France et en Europe. C’est tout l’objet de notre commission d’enquête au Parlement européen, qui rendra ses travaux en janvier. La réglementation européenne permet des dérogations à des interdictions de pesticides, pour une période maximum de 120 jours. Le problème est que la France, depuis des années, abuse de ces dérogations. Avec 58 demandes de dérogations en 2016, contre une moyenne de moins de 10 dans l’UE, la France est championne d’Europe. Il est essentiel que le gouvernement français soit davantage vigilant afin que les dérogations ne soient pas la règle mais l’exception. La diversité agricole française peut expliquer mais en rien justifier un tel niveau.

Que faire, alors que la fusion Bayer-Monsanto, notamment, renforce le poids du lobby des pesticides ?

De la graine à l’assiette, on a confié les affaires du monde du vivant à trois grandes multinationales. Qu’on soit conservateur ou progressiste, il est temps de réagir. Derrière cette acquisition d’une valeur de plus de 54 milliards d’euros, se posent trois questions : celle du poids de certains lobbyistes, celle de notre sécurité alimentaire et celle de notre modèle de société. Le modèle de développement que sous-tend le rachat de Monsanto par Bayer est aux antipodes de la transition de notre modèle productiviste vers un modèle soutenable et respectueux de l’environnement que les citoyens appellent de leurs vœux. Les élections européennes seront, je l’espère, l’occasion de revenir sur ces enjeux majeurs pour l’avenir de notre société.