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Le jour où Collomb s’est expulsé lui-même

Extorquée au Président, la démission du ministre de l’Intérieur pour retrouver son fauteuil de maire à Lyon a surpris jusqu’au gouvernement.
Gérard Collomb vendredi à Lille. (Photo Aimée Thirion)
publié le 2 octobre 2018 à 21h16
(mis à jour le 3 octobre 2018 à 6h08)

Exit Collomb. Le départ du ministre de l'Intérieur a été confirmé dans la nuit de mardi à mercredi, à l'issue d'un invraisemblable pas de deux avec le chef de l'Etat. Alors que celui-ci lui avait refusé, lundi, son bon de sortie, le premier flic de France a confirmé dans le Figaro son souhait de démissionner. L'Elysée a fait ensuite savoir qu'Emmanuel Macron avait «accepté la démission de Gérard Collomb et demandé au Premier ministre d'assurer son intérim dans l'attente de la nomination de son successeur» au ministère de l'Intérieur.  

Candidat déclaré à un quatrième mandat à la mairie de Lyon, le numéro 2 du gouvernement multipliait ces dernières semaines les allusions à son avenir municipal, mais aussi les commentaires inquiets sur l'«arrogance» du camp macroniste et l'isolement du chef de l'Etat. Résultat des courses : un poids lourd de moins au gouvernement, un souci de plus pour Emmanuel Macron, et une rentrée décidément infernale pour la majorité.

8 heures à Matignon

«Est-ce que Gérard Collomb est là pour longtemps ?» Lors du petit-déjeuner hebdomadaire de la majorité, à Matignon, le président de l'Assemblée, Richard Ferrand, met les pieds dans le plat. Lundi soir, Macron a refusé la démission du ministre de l'Intérieur. Le 18 septembre, Collomb avait expliqué à l'Express son désir de retourner à Lyon et donc de quitter l'exécutif après les européennes de 2019. Ce mardi matin, le silence du Premier ministre est couvert par les rires étouffés des convives. Edouard Philippe veut s'en tenir aux sujets du jour : le budget ou la taxe carbone, pas commenter les petits arrangements entre le chef de l'Etat et son ministre - dont il n'est d'ailleurs tenu informé qu'en dernier ressort, pour la forme…

«Ça le préoccupait quand même puisqu'il a regardé avec attention le bandeau de BFM TV annonçant la vraie-fausse démission de Collomb», relève un participant. Il y a urgence : Collomb est devenu une cible. Les syndicats, à l'approche des élections professionnelles de décembre, n'épargnent plus un ministre affaibli (lire page 4). L'opposition dénonce ses atermoiements et cartonne le Président sur la sécurité. Soutien de Macron, Daniel Cohn-Bendit avait le premier sonné l'hallali lundi, appelant Collomb, 71 ans, à faire valoir son «droit à la retraite» : «Qu'il aille s'occuper de ses petits-enfants, des pâquerettes.»

10 heures à l’Assemblée

La droite sent le climax approcher. Lors de la réunion de groupe des députés LR, Laurent Wauquiez pilonne : «Le ministre de l'Intérieur est en survie artificielle.» Les critiques déferlent sur les réseaux sociaux. «Le ministre de l'Intérieur est cramé : son administration s'éloigne de lui depuis son annonce de départ, idem les syndicats. […] Tenir huit mois sera long», réagit le député LR Philippe Gosselin sur Twitter.

13 heures à l’Elysée

Au sommet de l'Etat, la situation «surréaliste» délie les langues : «Ce n'est pas parce qu'on refuse une démission qu'elle n'est pas inéluctable», souffle un lieutenant du chef de l'Etat. Plusieurs responsables de la majorité s'inquiètent de ce «désordre». S'agissant de l'Intérieur, le flou est intenable pour le pouvoir : Macron risque de payer cher en popularité et en autorité le temps passé à trouver un remplaçant. «Collomb a le corps criblé de balles, souligne un proche du ministre de l'Intérieur. Le pire, c'est que c'est lui qui a tiré le premier. On a un ministre d'Etat dont les décisions ont été prises au regard d'enjeux locaux.»

En coulisse, on spécule déjà sur son successeur. Christophe Castaner rêve du job mais le patron de LREM a déjà fort à faire avec les prochaines élections européennes et municipales. Même si Macron l'apprécie, le ministre du Budget, Gérard Darmanin, est toujours pénalisé par son passé sarkozyste. «Il faut à la fois quelqu'un de confiance et l'autorité, la crédibilité et la séniorité nécessaires, fait valoir un lieutenant du Président. Autour de Macron, il n'y en a qu'un, c'est Jean-Yves Le Drian. En plus, il est adoré des armées, qui forment une partie des effectifs de la Place Beauvau…»

15 heures au Palais Bourbon

Gérard Collomb sèche la séance de questions au gouvernement. Officiellement, le ministre de l'Intérieur est retenu à Beauvau pour les séminaires de deux services de police. «Il est où Gérard ?» entonne la droite. Eric Ciotti dénonce «un ministre de l'Intérieur qui est déjà à l'extérieur». Pour Edouard Philippe, «ce qui compte, c'est ce que nous faisons pour assurer la sécurité des Français, ce que nous faisons en augmentant les moyens humains et matériels du ministère». En gros, peu importe qui occupe le poste… Sans prononcer le nom de Collomb, le chef du gouvernement souligne sobrement que «chaque ministre doit se consacrer pleinement à sa tâche». Une (nouvelle) interview du ministre de l'Intérieur au Figaro - «Je maintiens ma proposition de démission» - plus tard, le ton est moins badin, Philippe cingle : «J'aurai l'occasion de proposer au Président les décisions qui s'imposent.»

16 heures dans les ministères

La nouvelle provocation de Collomb se propage de smartphone en smartphone. Silence radio à Matignon, où l'on a découvert l'interview en même temps que tout le monde. Silence aussi autour de Collomb où, ces derniers jours, on n'épargnait pas sa peine pour vendre un ministre «pleinement à sa tâche» et en plein accord avec Macron. Un conseiller ministériel, ébahi : «C'est incompréhensible. Se laisser retenir puis remettre une pièce dans la machine, c'est carrément cruel. Quand on présente sa démission, on part et puis c'est tout !» «Un ministre, ça démissionne ou ça ferme sa gueule», avait dit en 1983 Jean-Pierre Chevènement, qui avait pourtant mis plus d'un mois à claquer la porte du gouvernement Mauroy. «Mon sentiment, c'est que les choses sont compliquées à Lyon et qu'il doit vouloir s'y consacrer aussi vite que possible», confie un ministre. Même analyse d'un député LREM : «Les séjours de Collomb à Lyon l'ont fait flipper. Il a vu que le lien avec la population s'effilochait, que sa victoire là-bas n'était pas acquise. Il veut donc sortir du gouvernement en rock star et reprendre la main au plus vite.» Sans attendre les élections : resté conseiller de Lyon, l'ex-édile va se voir réélire par le conseil municipal, a confirmé le maire actuel, Georges Képénékian.

17h01 dans le bureau de Macron

Contraint et forcé, le Président accepte cette énième demande de démission de Collomb et fait savoir qu'il «attend que le Premier ministre lui fasse des propositions» pour le remplacer. L'entourage présidentiel juge «regrettable que Gérard Collomb se soit mis dans la situation le conduisant à devoir démissionner». Indigeste, la formule vient souligner en creux le manque de grands serviteurs de l'Etat dont souffre la macronie. Dans la soirée, le Président reçoit les députés de la majorité de la commission des affaires sociales. Pas un mot, à 19 h 30, sur la crise en cours et le remaniement à venir. «On parle protection sociale du XXIe siècle, rapporte un participant. Pas de Collomb : c'est trop XXe siècle.»