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Libé des géographes

Mobilités : la voiture s’accroche à sa place

Le Mondial de l’auto reste très attractif, même si la toute puissance de l’automobile a dû reculer dans les centres-villes. Il est vrai que le désir de mobilité individuelle résiste fortement.
Au Mondial de l’auto, à Paris, mercredi, jour de l’ouverture du salon au grand public.   (Photo Stéphane Remael pour Libération)
par Olivier Archambeau, Professeur à Paris-VIII
publié le 3 octobre 2018 à 21h06

Le Mondial de l'auto, qui ouvre ce jeudi ses portes au grand public à la porte de Versailles, à Paris, est une grande fête populaire et paradoxale : chassée des hypercentres saturés de trafic et d'échappements nocifs, la voiture reste reine des trajectoires en tout autre point du territoire. Seize constructeurs et pas des moindres (Volkswagen, Ford, Fiat…) seront absents du salon centenaire, mais on y attend encore 1 million de visiteurs jusqu'au 14 octobre. Des Français pour qui «le déplacement est une nécessité, la vitesse un plaisir et la possession d'une automobile bien plus encore», comme l'écrivait déjà Jean Baudrillard en 1968 (le Système des objets)…

Car sur ce sujet sensible, passionnel et finalement très personnel, chaque individu a un rapport intime à la mobilité. Selon la situation géographique, sociale ou culturelle dans laquelle il se trouve, l’approche de ce temps quotidien consacré au déplacement, de ces «voyages» choisis ou non, s’avère radicalement différente. Si le sujet est sensible, c’est qu’il touche notre sphère intime et l’une de nos libertés fondamentales, celle de circuler librement et individuellement. C’est en grande partie pour cette raison que les décisions politiques sur ces sujets s’avèrent toujours délicates. La privatisation des autoroutes en son temps, l’écotaxe poids lourds ou plus récemment la limitation de vitesse à 80 km/h ont fortement heurté la sensibilité des Français les plus concernés. Des Trente Glorieuses aux années 90, les politiques de transport que l’on ne nommait pas encore mobilité, se résumaient dans les faits à favoriser le «tout voiture».

Apothéose

Cette politique était complétée par l'exploitation d'un solide réseau ferré hérité de la fin du XIXe siècle. Celui-ci irriguait au sens propre du terme l'ensemble du territoire, le TGV représentant tout à la fois l'apothéose de cet ancien monde des transports et l'élément nouveau qui allait devenir l'un des premiers acteurs structurants des déplacements multimodaux. Ce relatif équilibre s'est vu déstabilisé par plusieurs facteurs : l'apparition d'une économie davantage mondialisée qui a eu pour effet d'accentuer l'attractivité, la part de l'activité économique ainsi que la croissance des grandes agglomérations françaises, une ouverture de l'aérien et du rail à la concurrence entraînant l'apparition des low-cost et, évidemment, l'arrivée des services liés au développement des applications et services numériques maintenant bien connus comme Vélib ou Blablacar. Il faut enfin prendre en compte un paramètre que l'on oublie trop souvent : entre 1987 et 2017, la population française a progressé de plus de 10 millions d'habitants, une croissance qui a surtout profité aux villes.

Faits têtus

Tous ces éléments ont largement contribué à la création d’une forme plus marquée de segmentation des différents espaces du territoire national. En devenant plus spécifiques, le cœur des grandes agglomérations, les espaces périurbains et les espaces ruraux se sont peu à peu différenciés pour ce qui est de la mobilité, rendant de moins en moins compatible le voyage classique «point à point» avec le seul mode de transport individuel qui le permettait jusque-là, l’automobile.

Cette disparité entre territoires pourrait rapidement devenir un nouveau facteur d’inégalité, ou du moins de différences marquées dans les pratiques de mobilité, que l’on soit citoyen des grands centres-villes, habitants des banlieues au sens large du terme ou d’un monde rural de plus en plus délaissé par le train et les transports publics en général. Malgré la forte pression des villes et de l’Etat qui vise à faire baisser l’utilisation globale des véhicules particuliers au profit de transports collectifs ou collaboratifs, les faits sont têtus. Si les types de mobilités se déclinent maintenant plus aisément en fonction de leur environnement, le désir d’autonomie reste entier. Pendant que les grandes agglomérations bannissent peu à peu l’automobile et peut-être bientôt les deux-roues à moteur, de nouvelles formes de déplacement apparaissent, transformant radicalement l’approche du trajet interurbain. L’apparition des moyens unipersonnels de mobilité ou micromobilités (trottinette électrique, vélo et autres monoroues) prouve que les besoins de transports ne peuvent être résolus exclusivement de manière collective.

En dehors de Paris, où ces problématiques ne sont pas non plus homogènes, l’étalement urbain, la multiplication des zones pavillonnaires et l’obligation d’aller chercher du travail parfois à plusieurs dizaines de kilomètres du domicile, obligent nombre de familles à posséder plusieurs automobiles. Si les discours convenus sur l’intermodalité sont séduisants, le souhait de chacun reste avant tout de maîtriser son temps de trajet et de pouvoir compter sur la disponibilité de son moyen de transport. En cela, dans une société où l’adaptation et le changement des lieux de travail ou d’habitation deviennent la règle, mieux accompagner le développement de nouvelles capacités de mobilités individuelles propres et rapides ne semblerait pas illogique.