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Analyse

Pouvoir d’achat : un budget survendu par le gouvernement

Le budget 2019, qui arrive ce lundi à l’Assemblée, est censé prouver aux Français des classes populaires et moyennes qu’ils n’ont pas été oubliés. Mais pas sûr que, après les hausses d’impôts du début d’année, les baisses de prélèvements et autres revalorisations prévues suffiront.
Fin cash euros, le 12 octobre 2018 (Photo Christophe Maout pour Libération)
publié le 14 octobre 2018 à 19h36

Le VRP du «pouvoir d'achat» est de retour. Alors que le gouvernement est suspendu à un remaniement qui tarde, le ministre de l'Action et des Comptes publics, Gérald Darmanin, s'emploie, à la veille de l'examen par les députés du deuxième budget de l'ère Macron, à prouver que le gouvernement auquel il appartient est celui «des classes populaires et moyennes». «Octobre sera le mois de la baisse d'impôt et des promesses présidentielles tenues», a-t-il lancé vendredi dans le Figaro pour «vendre» la baisse de 30 % de la taxe d'habitation pour 80 % des foyers les moins aisés.

Le ministre va devoir redoubler d’arguments pour convaincre les Français qui ont jusqu’ici retenu les baisses d’impôts pour les plus aisés (ISF, flat tax…) mais pas pour les autres : deux tiers d’entre eux estimaient en février, selon un sondage Elabe, que leur pouvoir d’achat n’avait pas augmenté au cours des douze derniers mois. En cause : le décalage entre les hausses d’impôts (CSG, carburants, tabac) en début d’année et les baisses de prélèvements ou certaines revalorisations à venir cet automne (suppression de cotisations salariales, taxe d’habitation, prime d’activité…).

«Choc»

Ce calendrier choisi par l'exécutif pour maintenir le déficit public sous les 3 % de PIB a totalement annihilé les efforts du gouvernement pour prouver, comme Darmanin le martelait dans la presse début janvier, que le premier budget de l'ère Macron était celui du «pouvoir d'achat pour tous les Français». «Les gens s'aperçoivent qu'il y a eu tromperie», souligne le député socialiste des Landes, Boris Vallaud. Les chiffres de l'Insee confirment le ressenti sur le terrain : au premier trimestre 2018, le «revenu disponible brut» - qui sert à évaluer le pouvoir d'achat - a carrément baissé (-0,5 %) avant de retrouver quelques couleurs au deuxième (+0,7 %), troisième (+0,5 %) et surtout quatrième trimestre (+1,7 %).

«C'est vrai qu'il y a une concentration forte des mesures en faveur du pouvoir d'achat sur le second semestre 2018, reconnaît Mathieu Plane à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), organisme de Sciences-Po classé à gauche. Cela va créer un choc positif, avec une augmentation possible de la consommation et du taux d'épargne des ménages.» Même si, précise l'économiste, l'augmentation du pouvoir d'achat en 2018 par rapport à 2017 (de 0,3 point) est avant tout «liée à la baisse de la fiscalité du capital». L'Insee ne dit pas autre chose : si l'Institut a relevé sa prévision (de 1 % à 1,3 %) entre juin et octobre, c'est, explique Julien Pouget, chef du département de la conjoncture de l'Insee, «après avoir observé un très fort dynamisme des dividendes» lié à la mise en place cette année d'une flat tax de 30 % sur les revenus du capital. «Du coup, une grande partie de ce pouvoir d'achat risque d'alimenter l'épargne et moins la consommation», évalue Mathieu Plane. A l'Insee, Julien Pouget souligne cependant que «la suppression de cotisations salariales sur le seul quatrième trimestre et l'impact de la baisse de la taxe d'habitation, c'est 1 point de pouvoir d'achat en plus».

«Dynamique»

Le gouvernement a donc quelques mois pour prouver aux Français que leur pouvoir d'achat frémit. Et vite : car, en janvier 2019, arrivent à la fois de nouvelles hausses de taxes sur les carburants et la mise en place du prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu qui amputera le net des salariés en fin de mois. Préférant cette année parler davantage de «travail qui paie» que du vocable «pouvoir d'achat», les ministres de Bercy tablent sur plusieurs mesures du projet de loi de finances de 2019 pour prouver qu'ils en font pour tout le monde : deuxième tranche de baisse de taxe d'habitation, suppression des cotisations salariales, «désocialisation» des heures supplémentaires - «11 % de plus de pouvoir d'achat», répète Darmanin -, sanctuarisation du RSA et du minimum vieillesse, revalorisations «exceptionnelles» de la prime d'activité et de l'allocation adultes handicapés. Résultat : le Trésor prévoit un pouvoir d'achat «dynamique» (+1,7 %) pour l'année 2019.

Depuis la présentation du budget fin septembre, les ministres de Bercy, dont Darmanin, ne cessent d'ériger les 6 milliards d'euros de diminutions de prélèvements inscrits dans le projet de loi de finances pour 2019 comme «la plus grande baisse d'impôts pour les ménages depuis la loi Tepa de 2008». Les calculs de l'OFCE sont moins gourmands : 3,5 milliards d'euros, car ils prennent compte de la moindre revalorisation (+0,3 % en 2019 et 2020) des pensions de retraite, allocations familiales et aides au logement, traditionnellement indexées sur l'inflation (estimée à 1,3 % en 2019 par Bercy après 1,6 % en 2018). Et d'après l'Institut des politiques publiques, qui s'est penché à son tour sur les conséquences des mesures de 2018 et 2019 sur le pouvoir d'achat, ce sont - comme l'avait pointé l'OFCE l'an dernier - les ultrariches qui y gagnent. Ainsi, grâce à la réforme de l'impôt sur la fortune et la mise en place de la flat tax l'an dernier, les 1 % des Français très aisés vont connaître une augmentation de 6 % de leurs revenus en deux ans. Autres gagnants : les 60 % de ménages «intermédiaires» (qui se situent dans une fourchette qui va des 20 % les plus pauvres aux 20 % les plus riches). Ils vont voir leur «revenu disponible» augmenter de 1 % grâce, notamment, à la suppression des cotisations salariales et de la baisse de la taxe d'habitation.

Tabac

En revanche, le pouvoir d'achat des 20 % de Français les plus modestes va reculer de -0,5 % à -1 %, parce qu'ils ne paient pas d'impôts locaux, que le gouvernement a décidé de revaloriser les allocations familiales et l'aide au logementen deçà de l'inflation (+0,3 %) et que les taxes sur le tabac et les carburants vont connaître au 1er janvier une nouvelle hausse. Derniers perdants, les 20 % les plus aisés (à l'exception des tout derniers, les ultrariches) : ne bénéficiant pas (encore) de la baisse de la taxe d'habitation, ayant peu de revenus du capital et ayant subi la hausse de la CSG, leur pouvoir d'achat baisse de 1 %. Et encore, dans cette catégorie, ce ne sont pas les actifs qui sont touchés, mais les retraités. «Clairement, les mesures du gouvernement visent à augmenter le pouvoir d'achat des salariés du privé, qui font des heures supplémentaires et se situent dans la classe moyenne, souligne Mathieu Plane. Et si en plus ils ne fument pas et n'ont pas de voiture, alors ils gagnent sur tous les plans. En revanche, les retraités seront les grands perdants de cette affaire. C'est eux, et non plus les entreprises, qui vont financer les hausses de pouvoir d'achat.» Autrement dit : les retraités paient les augmentations de salaires des actifs du privé… et non plus les chefs d'entreprise.

Géraldine Blanchet, 44 ans, standardiste à mi-temps : «Pour moi, la «baisse Macron» est une fumisterie»

«J’ai appris que j’étais éligible à la baisse de 30 % sur la taxe d’habitation. Mais je ne suis pas dupe : si l’argent n’est pas pris à droite, il est pris à gauche. Et c’est exactement ce qui s’est passé. Cette année, avec mon mari, on paye 556 euros de taxe d’habitation. On gagne donc 179 euros par rapport à l’année dernière. Mais dans le même temps, en 2018, ma taxe foncière a augmenté de 132 euros. Comme ma commune de Vence fait partie de la métropole Nice-Côte d’Azur, on est concernés par la hausse de l’impôt foncier dans l’intercommunalité voulue par Christian Estrosi pour financer les investissements. Du coup, on paye davantage. Le gain de pouvoir d’achat est en réalité tout petit : on économise seulement 3,91 euros par mois, soit 47 euros par an. Pour moi, la «baisse Macron» est une vaste fumisterie. Au final, nous sommes perdants. Depuis que j’ai fait mes calculs et que j’ai vu ce que je «gagnais», je signe des pétitions contre la hausse de la fiscalité dans la métropole. Je poste aussi des messages sur les réseaux sociaux et j’en parle à tout le monde autour de moi. J’essaie de réveiller les gens. Je gagne 700 euros par mois. Je suis standardiste à mi-temps chez un notaire. Mon mari est aide-soignant et il gagne 1 700 euros mensuels. Comment va-t-on réussir à financer les études de nos deux enfants ? L’aîné est au lycée, ça va vite arriver. On en est à se demander si l’on ne va pas revendre notre appartement de 68 m² pour redevenir locataires. Peut-être que nous serons moins taxés ? Je me demande comment le gouvernement peut espérer que les Français continuent de consommer. Avec ce que l’on gagne, c’est compliqué. J’attends avec impatience les nouvelles élections pour avoir un président qui tape sur les riches et les multinationales, plutôt que de taper toujours sur les retraités, les petits propriétaires et la classe moyenne. Entre les salaires qui ne bougent pas, les taxes et le prix de l’essence qui augmentent, ça n’est plus gérable pour les gens comme nous.»

Daniel, 73 ans, retraité de la Poste : «Jamais ma pension ne sera suffisante pour un Ehpad»

«J’ai déjà pris la hausse de la CSG dans les dents. Et maintenant, on nous annonce une revalorisation de nos pensions de seulement 0,3 %, bien en dessous de l’inflation. Forcément, mon pouvoir d’achat en souffre ! En fait, Emmanuel Macron m’a renvoyé à ma situation de 2011. D’habitude, ça augmente, bon an, mal an, on va vers du mieux. Là au contraire, je suis en train de reculer. Rien que pour la CSG, en comptant aussi le prix de ma mutuelle santé qui a augmenté de quelques euros, je perds plus de 500 euros par an, soit une quarantaine d’euros par mois, avec une pension passée de 1 616 à 1 573 euros. Macron veut nous faire passer pour des nantis… Mais qui a fait tourner pendant des années des boîtes, bien privilégiées, elles ? Ce sont les retraités d’aujourd’hui ! Et à ces entreprises pourtant, aujourd’hui, on ne demande pas de rendre l’argent… Ce n’est clairement pas elles qui vont payer mon Ehpad demain… Ça, c’est une vraie inquiétude : jamais ma pension ne sera suffisante. J’ai regardé les prix : aujourd’hui à Paris, il faut débourser 3 000 euros par mois minimum pour un tel hébergement. On peut trouver moins cher, mais il faut aller loin. Pour payer la maison de retraite de mes parents, on a dû vendre leur maison. Mes enfants seront-ils obligés de faire pareil pour moi ? Cela me rend amer. Avec mon épouse qui travaille encore et gagne à peine plus que moi, je ne dis pas qu’on vit mal. On n’est pas les plus à plaindre, mais on fait attention. On se limite sur les produits chers comme la viande. Mais regardez comment le prix de l’essence grimpe… Pour couronner le tout, on vient de recevoir notre taxe d’habitation : pas de trace de la ristourne de 30 % vantée par le gouvernement. L’ardoise s’élève à 1 800 euros, car on est dans une commune pauvre. On nous dit qu’il faut attendre 2020 voire 2021 pour que tout le monde y ait droit, mais il ne faut pas se leurrer. L’Etat n’a pas les moyens d’une telle réforme. Il devra trouver l’argent ailleurs, en augmentant par exemple la taxe foncière. Et ce sera à nouveau à nous de payer.»

Régis, 40 ans, fonctionnaire territorial : «Il ne fait pas bon être juste au-dessus du Smic»

«Je suis cantonnier à Sardieu, un village de l’Isère. Mon salaire est de 1 450 euros net. En janvier, lorsque la CSG a augmenté, j’ai vu apparaître une compensation de 14 euros sur ma feuille de paie. Mais en fin de compte, je suis bel et bien perdant : cette réforme m’a fait perdre 40 euros par mois. Sans oublier le point d’indice qui est gelé pour cette année… C’est de plus en plus dur. Je vis seul, à la campagne, avec un loyer de 500 euros. Je n’ai droit à rien. Ni aux allocations logement, ni à la prime d’activité, ni aux aides pour l’énergie. Conclusion : il ne fait pas bon être célibataire et juste au-dessus du smic. Tous les mois, je dois aussi payer l’électricité pour chauffer mon appartement mal isolé (120 euros), le prêt pour ma voiture (130 euros), au moins deux pleins de gasoil pour aller au travail et en ville (140 euros). A la fin, il ne reste pas grand-chose. Je me débrouille, je fais attention, je limite les grosses courses à une seule fois par mois. Le reste du temps, j’essaie de trouver des combines pour ne pas trop dépenser, j’achète les produits bradés en fin de marché. Malgré tout, chaque fin de mois, je dois aller puiser 100 à 200 euros dans mes économies. Et là, ça commence à fondre. Autant dire que pour les sorties, c’est très compliqué. Je n’ai pas vraiment de budget pour ça. En plus, je n’ai même pas de treizième mois ou d’autres avantages comme les tickets restaurant ou les chèques vacances… Je viens tout de même de voir que je vais bénéficier de la réduction de 30 % sur la taxe d’habitation cette année. C’est déjà ça. Mais ce serait bien si le gouvernement pensait un peu plus aux gens comme moi, à ceux qui gagnent à peine plus que le salaire minimum, juste un tout petit peu trop pour avoir droit à des aides. C’est quand même fou. Il y a cinq ans, j’avais un autre emploi, dans le nord de la France. Je gagnais moins, puisque mon salaire était alors de 1 300 euros net, pour environ le même niveau de charges, mais tout de même je m’en sortais mieux. Je n’étais pas à l’aise non plus financièrement, mais je n’étais pas à la peine, comme aujourd’hui».