Menu
Libération
édito

Déchirure

publié le 15 octobre 2018 à 20h36

Les mêmes causes produisent les mêmes effets. Au début du XXe siècle, dans «la zone», au-delà des «fortifs» sévissent des bandes de jeunes habituées de la violence qui effraient le bourgeois et défraient la chronique judiciaire. Ils sont souvent jeunes - «Casque d'Or», l'une des plus célèbres de ces «apaches», selon la dénomination de l'époque, commence sa carrière à 13 ans. La délinquance est fréquente, les causes des rixes sont souvent futiles et le «surin» (le couteau) manié avec dextérité. «La zone» abrite des prolétaires souvent sans-travail, déracinés, sans espoir d'intégration par le travail. Rappel rassurant par son antériorité ? Pas vraiment : qui peut se rassurer quand il est ramené un siècle en arrière ? L'immigration ? Un peu court. Les «apaches» de l'époque venaient de la douce France, celle des régions déshéritées. C'est leur situation qui explique la violence des bandes, non leur origine. Culture de l'excuse ? Pas plus. Ceux qui tuent ou blessent à coups de barres de fer ou de battes de base-ball doivent faire face, comme tout un chacun, aux rigueurs de la loi. Mais qui ne voit qu'un certain état de la société commande un certain état de la violence ? Souvent les cités, les quartiers, sont les nouvelles «fortifs», relégués, minés par le sous-emploi, la désagrégation familiale, la désertion de l'Etat, qui pourtant fait des efforts. Le trafic de drogue s'y mêle, source de profits faciles pour ceux qui n'ont par ailleurs aucune perspective, avec ses luttes de territoires à balles réelles. On plaidera la restauration de l'ordre républicain. Certes. Mais la matraque est un piètre remède social. C'est le travail patient des profs, des éducateurs, des élus, et surtout la lutte contre l'inégalité des conditions, qui peuvent seuls recoudre le tissu déchiré.