C'est l'affaire dans l'affaire. Vendredi, Sophia Chikirou, ex-conseillère en communication de Jean-Luc Mélenchon, a été entendue à son tour à Nanterre dans le cadre d'une enquête préliminaire ouverte pour «escroquerie», «abus de confiance», «infraction à la législation des campagnes électorales» et «travail dissimulé». Une procédure initiée en mai après le signalement de la commission des comptes de campagne visant trois prestataires de Jean-Luc Mélenchon, dont Mediascop, l'agence de communication de Sophia Chikirou.
Frais étonnants. Au cœur de cette enquête sur les comptes de la campagne présidentielle 2017 de La France insoumise (la seconde, ouverte pour «détournement de fonds publics», concerne l'emploi présumé fictif d'assistants parlementaires européens), la conseillère est suspectée d'avoir surfacturé des prestations auprès du candidat Jean-Luc Mélenchon, dont elle était par ailleurs la directrice de campagne. Des accusations étayées ce même jour par une enquête fouillée de la cellule Investigations de Radio France. Selon nos confrères, Mediascop a facturé ses prestations pour près de 1,2 million d'euros, soit 11 % du budget total de la campagne. La société, qui employait par ailleurs une dizaine de membres du staff du candidat, a adressé deux factures à l'association de campagne de Mélenchon. Pour huit mois de campagne, Sophia Chikirou a été rémunérée au total 80 000 euros hors taxe, soit une moyenne de 10 000 euros mensuels. Mais les journalistes de Radio France ont déniché d'autres prestations facturées par Mediascop, allant de la «rédaction des scénarios des clips de campagne» à la «préparation des intervenants» pour une série d'émissions diffusées sur le Web. En cumulant ces activités annexes, le salaire mensuel de Sophia Chikirou grimpe à 15 000 euros. Et ce, alors que certains employés de Mediascop étaient payés 1 500 euros par mois en CDD. D'autres frais apparaissent plus étonnants encore. Au cours de la campagne, Mediascop fait ainsi payer 250 euros pour chaque extraction de fichiers audio des discours de Jean-Luc Mélenchon. Cette opération, «qui prend cinq à dix minutes», sera comptabilisée 19 fois. Même chose pour le sous-titrage des vidéos, facturé 200 euros à la minute à l'association de financement, soit plus de douze fois le prix habituel selon Radio France. Du côté de La France insoumise, on dément avec force toute surfacturation.
«Diffamation». Dans un communiqué, Jean-Luc Mélenchon s'est empressé de dénoncer une «campagne d'affabulations» de la «radio d'Etat», qui assurerait selon lui «le service après-vente du pouvoir dans sa campagne contre La France insoumise». Lors d'une longue conférence de presse organisée vendredi après-midi, il a demandé l'annulation de la perquisition et la restitution de tous les éléments saisis au siège de son parti mardi.
Fin 2017, la Commission nationale des comptes de campagne avait validé ceux du candidat Mélenchon, après avoir retranché plus de 400 000 euros des dépenses en théorie remboursables par l'Etat (dont 54 600 euros concernent de dépenses facturées par Sophia Chikirou). Une validation qui n'a pas empêché la commission de saisir le parquet, elle-même n'ayant aucun pouvoir judiciaire. Accusant tous les médias d'être engagés dans la même «campagne de diffamation», le leader de La France insoumise s'est engagé à mettre sur la table tous les éléments nécessaires à la manifestation de la vérité.
Mais pour l’heure, tout a été fait pour dissimuler les véritables bénéfices réalisés par Mediascop. Fin mars 2017, Sophia Chikirou a en effet transformé son entreprise en société par actions simplifiées. Un statut particulier qui lui permet de ne pas publier ses comptes, contrairement à ceux de l’année précédente.
Dans sa décision de classer sans suite une plainte de l'association Anticor, le procureur de la République de Paris justifiait par ailleurs l'ouverture d'une enquête préliminaire par ces mots : «Les surfacturations dénoncées [par la Commission des comptes de campagne] tendent à faire sérieusement suspecter l'existence de manœuvres délibérées destinées à tromper l'organe de contrôle aux fins d'obtenir des remboursements sans cause.»