Pour Tariq Ramadan, cela commence à ressembler sérieusement à la bérézina. Il a fait voler lui-même en éclat, lundi midi dans le bureau des juges d’instruction, la ligne de défense radicale qu’il avait adoptée depuis le début de cette affaire, il y a un an. Entendu à sa demande, le théologien a reconnu avoir eu des relations sexuelles, ce qu’il niait vigoureusement jusqu’alors, avec Henda Ayari et Christelle (1), les deux premières femmes (sur quatre) à avoir porté plainte contre lui pour viols.
Pour son avocat, Me Emmanuel Marsigny, Tariq Ramadan a «nié bêtement» jusqu'à présent ces relations en raison d'un acharnement judiciaire et médiatique à son encontre. «Sa parole est enfin libérée, a-t-il plaidé. Les éléments montrent de façon incontestable que les plaignantes ont menti et que les relations sexuelles ont été parfaitement consenties.» Dans la foulée, il a annoncé le dépôt d'une plainte pour dénonciation calomnieuse. Désormais, le théologien va donc plaider que des jeux sexuels de nature sadomasochiste étaient parfaitement consentis. «Tariq Ramadan a promené la justice française pendant un an, a dit à Libération Me Jonas Haddad, l'un des deux avocats d'Henda Ayari. C'est le temps qu'il a fallu pour qu'il avoue avoir eu des relations sexuelles avec les deux premières femmes qui ont porté plainte contre lui. Tariq Ramadan a fait les trois quarts du chemin. J'espère que nous n'allons pas attendre encore un an pour qu'il avoue maintenant les viols.»
400 SMS
Ce revirement du théologien était en fait attendu. Il était d'une certaine façon dos au mur, après que des expertises informatiques ont révélé, en septembre, une série de plus de 400 SMS échangés entre le prédicateur et Christelle, ne laissant plus de doutes sur la nature sexuelle et très violente de leur relation.
Dans le bureau des juges d’instruction, il y a eu quand même lundi, un coup de théâtre. Dans l’entourage d’Henda Ayari, on ne s’attendait pas à ce que le prédicateur reconnaisse tout de suite avoir eu des relations sexuelles avec elle. Là aussi, Tariq Ramadan y a été contraint. L’été dernier, selon nos informations, Henda Ayari a livré à la justice une carte SIM et l’historique de ses échanges avec Ramadan par le biais de la messagerie privée de Facebook. Ces éléments accréditent eux aussi l’existence d’une relation pas seulement virtuelle et platonique.
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Il reste encore une grande inconnue dans cette affaire, déjà pleine de rebondissements. Quelle va être l’attitude désormais de Tariq Ramadan face aux soupçons de viol dont il fait aussi l’objet en Suisse ? En marge d’une conférence à Genève, Brigitte (1) l’accuse d’avoir abusé d’elle, en octobre 2008, dans un hôtel de la rive droite. Selon le témoignage de Brigitte, le théologien l’aurait suspectée d’avoir été envoyée par les services de renseignements français pour le piéger.
Courant septembre, à la suite de l’enquête de la police genevoise, le prédicateur a été mis en examen pour viol dans cette affaire. Il devrait être très prochainement entendu par la justice helvétique. Le procureur en charge du dossier à Genève, devrait faire le déplacement en France pour cette audition, Tariq Ramadan étant incarcéré depuis plusieurs mois à l’hôpital pénitentiaire de Fresnes (Val-de-Marne).
Défense agressive
«Mensonge après mensonge, Tariq Ramadan continue de consommer son carburant de crédibilité», affirme à Libération Me Romain Jordan, l'un des avocats de Brigitte. Le théologien va-t-il aussi plaider la relation consentie avec la Suissesse ? Cela risque d'être très compliqué. Car entre Brigitte et lui, contrairement à ce qui s'est passé avec les deux plaignantes françaises, il y a eu très peu d'échanges avant et après la rencontre fatidique d'octobre 2008. Selon une source proche du dossier, il n'y a pas l'équivalent de la série de SMS très crus envoyés en septembre 2009 à Christelle, un peu avant leur unique rencontre à Lyon.
Assurée par les avocats Pierre de Preux et Guerric Canonica, la défense de Tariq Ramadan en Suisse est agressive. Pour le moment, elle tente d'imposer le silence aux parties civiles, ce que permet, pour un temps limité, la justice suisse. Cette demande a déjà été rejetée, à deux reprises, par les autorités judiciaires à Genève. Les avocats du théologien ne désarment pas et ont désormais fait appel au niveau fédéral. Pour une source proche du dossier, «c'est une tentative de renvoyer la victime dans le silence où elle est restée pendant dix ans».
(1) Les prénoms ont été modifiés.