Menu
Libération
Analyse

Le Parti socialiste a le «halo» loin du «noyau»

Une étude de la Fondation Jean-Jaurès portant sur la période 2012-2018 met en lumière la forte érosion des sympathisants socialistes, mais aussi le décalage entre la base et le parti.
(Photo Philippe Lopez. AFP)
publié le 23 octobre 2018 à 20h06

D’impénitents optimistes en voie de disparition rapide. C’est le portrait-robot des sympathisants socialistes que la Fondation Jean-Jaurès (FJJ) vient d’établir après une enquête auprès d’un millier d’entre eux, issus d’un panel de 12 500 personnes. En 2012, à la victoire de François Hollande, 22% des Français se disaient proches du PS. Six ans et une catastrophe présidentielle plus tard, cette base électorale socialiste - à ne pas confondre avec les militants encartés - a rétréci de plus de moitié : ils ne sont plus que 9%.

L’enseignement complémentaire, c’est que le triomphe d’Emmanuel Macron en mai 2017 et la déculottée socialiste aux législatives après la défaite de Benoît Hamon n’ont pas constitué l’apogée de ce désamour. Jusqu’en avril 2017, la part des sympathisants socialistes oscillait entre 16 et 14%, avant de chuter à 10% à la rentrée 2017, puis 9% en juin dernier. En apparence spectaculaire, ce chiffre doit être relativisé. Certes, les cotes d’amour des autres partis sont plus élevées, mais pas dans des proportions folles : 14% de Français se classent par exemple parmi les sympathisants de La République en marche (LREM) ou du parti Les Républicains (LR), et 13% se disent proches du Rassemblement national. Unique (et maigre) consolation, le PS ne se classe pas tout en bas de la liste : seuls 7% des Français se déclarent sympathisants de La France insoumise (LFI).

Validation

Le vrai intérêt de l’étude réside dans le fait qu’elle est basée sur le même panel en 2016 et en 2018. On peut donc suivre les sympathisants à la trace ou presque. Sur 100 personnes qui se déclaraient proches du PS il y a deux ans, 44 le sont toujours, mais 25 sont désormais sympathisantes de LREM et 14 ne se sentent proches d’aucun parti. Très peu de ces ex-socialistes version 2018 se déclarent proches des insoumis (7) et encore moins de Génération·s (4), le mouvement créé par Benoît Hamon à l’été 2017. D’ailleurs, comme une preuve supplémentaire du désarroi de la base électorale socialiste, l’étude révèle que seuls 27% des sympathisants du PS ont voté Hamon il y a dix-huit mois, 42% d’entre eux glissant un bulletin Macron dans l’urne le 23 avril 2017 (et 23% pour Mélenchon).

Pour le directeur de la Fondation Jean-Jaurès, Gilles Finchelstein, c'est la faiblesse la «plus surprenante» mise au jour par cette étude : les sympathisants socialistes ne sont plus automatiquement des électeurs socialistes, ce qui veut dire que le PS n'arrive plus à rassembler au-delà de son cœur d'électorat. Il y a une perte de rayonnement et d'attractivité auprès non pas du «noyau» - les militants et les sympathisants -, mais du «halo» - les électeurs d'un jour, ceux qui font et défont un président à un instant donné. Et là, «jamais le halo n'a été aussi loin du noyau», résume Gilles Finchelstein. Soit l'inverse de la recette du succès électoral.

C'est d'autant plus cruel que, si on en croit l'enquête, l'espace idéologique du Parti socialiste - la social-démocratie - rassemble potentiellement 30% des Français et qu'il est «déserté» par les autres partis politiques qui pourraient attirer les sympathisants, LREM et LFI. Depuis 2016, les sympathisants qui sont restés d'obédience socialiste sont donc les mêmes, mais moins nombreux. Cela pourrait d'ailleurs mener à de nouvelles déconvenues électorales car en vue des élections européennes de mai prochain, le PS vient de mettre clairement la barre à gauche. Sous la houlette d'Olivier Faure, premier secrétaire depuis le printemps dernier, «la stratégie de rassemblement a primé sur l'identification», décrypte Gilles Finchelstein.

Côté économie, après un quinquennat où les frondeurs ont bataillé contre le socialisme de l'offre et les aides aux entreprises prônées par François Hollande, les sympathisants se disent très majoritairement favorables au libre-échange. Comme une validation posthume du «j'aime l'entreprise» de Manuel Valls, ils approuvent massivement l'idée qu'on donne plus de liberté aux entreprises pour faire face aux difficultés économiques. Pour faire court, le PS actuel semble donc être en décalage idéologique par rapport à sa base électorale, elle-même rétrécie. Dans la bouche d'un jeune dirigeant du PS conscient du hiatus et des ennuis à venir, cela donne : «Il y a un peuple de gauche qui ne sait pas où il habite.»

Chambre à coucher

Derrière les chiffres, l'enquête de la FJJ dévoile le profil sociologique des Français proches du PS. Le sympathisant type est une sympathisante, de plus de 50 ans et issue de la classe moyenne supérieure. Selon la formule de la FJJ, les socialistes de cœur ne sont «ni la France de la souffrance ni la France de l'aisance». Mainstream. «Ce sont des Français comme les autres, beaucoup plus que dans les autres partis, explique le directeur de la fondation. Cette radioscopie socialiste ressemble à un portrait de la France, alors que pour tous les autres partis il y a une forte déformation.» Les ouvriers sont surreprésentés côté Rassemblement national, les sympathisants âgés bien plus nombreux que la moyenne chez Les Républicains, LREM a une base électorale bien plus aisée et LFI séduit plus de jeunes que les autres partis. Réformistes modérés, favorables à l'économie de marché, très pro-européens, les sympathisants socialistes ont majoritairement le sentiment d'avoir réussi leur vie et ils sont 42% à être persuadés de mener une meilleure vie que leurs parents, cet indicateur clé pour déterminer le moral d'une société, contre 31% des Français.

Plus homogènes, ils sont donc plus unis que les insoumis et les marcheurs sur les grands sujets de société comme l'homosexualité, la peine de mort, l'accueil des migrants et l'islam. Les sympathisants socialistes sont des libéraux culturels, ouverts sur le monde et les autres. La proximité socialiste fait partie de l'héritage familial pour la moitié des sympathisants (seuls 20% d'entre eux ont des parents de droite). Cette homogénéité partisane vaut aussi pour leur vie de famille puisque 70% des sympathisants socialistes expliquent avoir un conjoint de gauche quand plus des trois quarts des sympathisants LFI (76%) et LR (74%) partagent leur vie avec quelqu'un qui partage leurs idées politiques. Dans cette catégorie «amour et politique», les seuls à faire exception se trouvent chez LREM : 35% d'entre eux disent avoir un partenaire de gauche et 36% un conjoint de droite. Comme une séquelle du «et en même temps» présidentiel, dans sa version chambre à coucher.