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Environnement

Macron veut réchauffer ses relations avec le climat

Après la démission fracassante de Nicolas Hulot et à six mois des européennes, le chef de l’Etat promet des annonces «historiques» pour retrouver une crédibilité écologique. La programmation pluriannuelle de l’énergie, dont l’annonce a été une nouvelle fois repoussée, lui offre une fenêtre de tir.
Emmanuel Macron, au Guilvinec (Finistère), le 21 juin. (Photo Albert Facelly)
publié le 24 octobre 2018 à 20h26

Il l'a proclamé devant la France entière lors de son allocution du 16 octobre, jour de remaniement : Emmanuel Macron va prendre cet automne des décisions qu'il a qualifiées de «structurantes et historiques». Des choix «clairs et profonds» qui démontreront que son gouvernement ne baisse pas les bras face à la «tragédie écologique». Ces décisions, le chef de l'Etat a prévu de les annoncer lui-même lors de la présentation de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), feuille de route énergétique pour les dix ans à venir. Initialement programmé en juillet puis repoussé à la fin octobre, ce rendez-vous a de nouveau été reporté. «Le président de la République veut prendre son temps sur ce sujet qui engage le pays pour de nombreuses années et qui s'inscrit dans son combat global contre le réchauffement climatique», expliquait mercredi l'Elysée, sans s'engager sur une date précise.

Image écornée

A l'évidence, tous les arbitrages ne sont pas rendus. Pour préparer sa décision, Macron a réuni mercredi les gros acteurs de l'énergie : une trentaine d'organismes de recherche (CNRS, Inria, CEA, Inra) et de chefs d'entreprises, notamment les patrons de Total, EDF et Engie. Au même moment, à deux pas du palais présidentiel, plusieurs associations écologistes organisaient une «contre-réunion» (lire ci-dessous). Selon l'Elysée, la séance de travail avec les patrons et les chercheurs était centrée sur «la réduction des émissions de CO2 liées à la consommation d'énergie, la maîtrise de la facture énergétique des Français, le made in France des nouvelles solutions énergétiques bas carbone». Elle doit être complétée, ce jeudi, par une deuxième réunion avec le Premier ministre Edouard Philippe et tous les ministres concernés : François de Rugy (Transition écologique), Bruno Le Maire (Economie), Gérald Darmanin (Comptes publics) ou encore Frédérique Vidal (Enseignement supérieur et recherche).

En matière de lutte contre le changement climatique, le chef de l'Etat a déjà montré qu'il avait le goût des fortes paroles. Quelques semaines après son élection, le 1er juin 2017, il avait préempté une forme de leadership mondial avec son fameux «make our planet great again», réponse retentissante à Donald Trump qui venait d'annoncer le retrait des Etats-Unis de l'accord de Paris. Mais un an plus tard, l'image d'un Macron «champion de la Terre» - titre qui lui a été décerné cet été par les Nations unies - a été sérieusement écornée par la spectaculaire démission de Nicolas Hulot, usé et découragé par le poids des lobbys «dans les cercles du pouvoir». A six mois des prochaines européennes, échéance cruciale pour la majorité, cette dégradation de la crédibilité écolo du gouvernement est lourde de menace. Plombé par une solide impopularité, le Président compte sur cette élection pour se remettre en selle. Or pour espérer un succès, la liste macroniste doit impérativement séduire l'électorat sensible à la cause environnementale. Malgré le soutien de Daniel Cohn-Bendit et des anciens Verts passés à LREM, c'est loin d'être gagné. Un peu partout en Europe du Nord, les listes écologiques enregistrent ces dernières semaines des scores inédits. De quoi donner des ailes au patron d'EE-LV, Yannick Jadot, qui rêve de reproduire en France la performance des «Grünen» de Bavière (près de 19 % aux élections régionales du 14 octobre). Aucun doute, pour lui, la démission de Hulot aura ouvert les yeux des électeurs : ils savent désormais que Macron reste prisonnier d'«un modèle productiviste éco-destructeur, incapable d'engager l'Europe dans la transition écologique».

Avec ses annonces soi-disant «historiques» sur la PPE, le chef de l'Etat a l'ambition de lui donner tort. Mais l'exercice est à haut risque, avec des exigences difficilement conciliables et d'énormes enjeux industriels. La PPE doit dire comment la France entend réduire ses émissions de CO2 conformément à ses engagements ; elle doit aussi détailler les nouvelles solutions énergétiques bas carbone qu'elle entend développer et expliquer à quel rythme elle organise la réduction de la part du nucléaire dans la production d'électricité. Le tout en garantissant la maîtrise de la facture énergétique des Français…

«Nouveau nucléaire»

«Une quadrature du cercle», estiment certains experts… Nicolas Hulot, lui, s'y est cassé les dents. C'est entre autres parce qu'il n'obtenait pas de garanties suffisantes sur les fermetures de réacteurs qu'il a fini par démissionner le 28 août.

Dans la majorité, on s'attend à ce qu'au nom de l'urgence climatique, Macron donne clairement la priorité à sa stratégie bas carbone, sans donner satisfaction à ceux qui rêvent de voir la France s'engager dans une sortie du nucléaire. Dans le meilleur des cas, la PPE devrait confirmer que l'objectif de ramener la part nucléaire dans le mix électrique à 50 % est repoussé à 2035. Militant anti-nucléaire depuis des décennies, le successeur de Hulot, François de Rugy, ne cache pas son embarras : «Avec Emmanuel Macron nous avons été élus pour conduire une transformation», a-t-il fait valoir sur LCI, ajoutant que s'il devait être envisagé d'investir dans «un nouveau nucléaire», il doute que cela puisse être dans l'EPR, ce réacteur nouvelle génération dont la construction s'éternise et qui n'a «pas encore fait la démonstration de sa fiabilité en termes de sécurité ni de sa compétitivité en termes économiques». Pas sûr que cela suffise à convaincre Macron qui aura entendu ces derniers jours d'autres voix : celles de l'industriel EDF et de Bruno Le Maire, qui militent activement pour le maintien d'un leadership français dans une industrie nucléaire qui aurait tout pour plaire : compétitive, pourvoyeuse d'emplois et surtout bonne pour le climat…

Un contre-goûter écolo

Non conviés à l'Elysée mercredi pour débattre de l'avenir énergétique de la France, contrairement aux «plus gros pollueurs», les «acteurs de la transition énergétique qui œuvrent au quotidien pour la rendre possible» (entreprises des énergies renouvelables, collectivités, ONG…), ont organisé une «contre-réunion»au même moment à deux pas du Palais. Encerclés par les CRS, ils ont exposé, graphiques à l'appui, ce que serait à leurs yeux une réforme ambitieuse de l'énergie. Baisser la consommation en investissant dans la rénovation thermique des logements et une vraie réforme des transports. Faire des renouvelables la clé de voûte de l'énergie. Et prévoir de fermer plusieurs réacteurs nucléaires d'ici 2028. Pas sûr qu'ils soient écoutés.