Bienvenue dans l'ère de la start-up nation, du nomadisme et de la flexibilité au travail. Les bureaux personnels ont disparu. Chaque matin, à leur arrivée dans les locaux de l'entreprise, les employés partent à l'aventure en quête d'un poste libre et prennent place à côté d'un nouveau voisin. En journée, le jeu des chaises musicales peut continuer. «Le principe, c'est "qui part à la chasse perd sa place"», glisse un employé travaillant dans un «flex office», ou bureau flexible. Comme l'open space, ce système très répandu outre-Manche est de plus en plus prisé par les entreprises françaises.
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Optimiser l’espace
Présenté comme plus favorable au travail collaboratif, ce mode d'organisation «révolutionnaire» permettrait de stimuler l'autonomie et la créativité des salariés. Mais pas que. Il est surtout bon pour les finances des entreprises. L'opération revient à optimiser l'espace, deuxième poste de dépense. Puisque 100% des employés ne sont jamais présents en même temps sur leur lieu de travail (RTT, déplacements…), autant diminuer le nombre de postes disponibles et faire tourner les salariés. «Ce système n'est pas récent en soi : c'est une pratique fréquente pour les très petites structures pour qui la maîtrise du coût de l'espace est stratégique. En revanche, depuis quelques années, beaucoup de grands groupes français adoptent cette solution, avec plus ou moins de succès», explique Delphine Minchella, directrice académique et enseignante-chercheuse du laboratoire Métis de l'EM Normandie.
Engie, L'Oréal, PSA, Danone, le Crédit Agricole, la BNP, Bouygues, SFR (situé dans le même bâtiment que Libération, autre propriété de Patrick Drahi) ou encore de grosses boîtes de pub branchouilles ont opté pour le flex office. «Généralement, cela s'accompagne de la possibilité de travailler régulièrement de chez soi ou d'un tiers-lieu pour augmenter les espaces disponibles. Ainsi, pour les entreprises, il est possible d'avoir moins de bureaux que l'on a de collaborateurs», poursuit la chercheuse en organisation du travail. Une entreprise de 600 salariés peut ainsi prévoir uniquement 500 postes en libre-service. Forcément, il arrive que des employés errent dans les locaux à la recherche de solutions de repli car tous les bureaux sont déjà occupés. Premier arrivé, premier servi.
«Dépersonnalisation»
Puisque le bureau n'est plus personnel, il devient donc impersonnel. Pas le droit de laisser traîner des peluches, livres ou décorations le soir, ni dans la journée pour certaines entreprises. C'est le principe du «clean desk». Interdit d'afficher quoi que ce soit au mur, dans certains cas. «La dépersonnalisation est au cœur même du dispositif, confirme Delphine Minchella. J'ai néanmoins visité un flex office de taille "raisonnable" – un plateau accueillant 50 individus – où des casiers attitrés avaient été installés. Ils étaient donc personnalisables. D'ailleurs, sur ce mur de casiers, pas un seul n'avait été laissé sans marque de territorialisation (photos, cartes postales, dessins, etc.). En revanche, j'ai été invitée l'année dernière à visiter le flex office d'un grand groupe bancaire en région parisienne, et là rien n'était personnalisable… Il n'était d'ailleurs pas possible qu'un individu choisisse deux fois de suite la même place sous peine de se voir accusé de "ne pas jouer le jeu".»
Ce nomadisme subi peut plomber le moral des employés, donner l'impression d'être un «pion» interchangeable. Appliqué à trop grande échelle, le flex office ne pousse pas forcément à tisser des liens avec ses collègues : «Si cela concerne trop d'individus sur un même plateau, il n'y aura pas plus de collaboration ou plus de rencontres, mais plutôt l'impression de travailler dans une bibliothèque universitaire où personne n'ose se parler», relève Delphine Minchella.