De Strasbourg jusqu'à Lens, le long des frontières allemande, luxembourgeoise et belge, Emmanuel Macron se donne six jours, à partir de ce dimanche, pour parcourir les champs de batailles et les villes martyres sur le front de la Grande Guerre. Il achèvera son périple le 10 novembre dans ses Hauts-de-France (ex-Picardie) natals, à Compiègne, dans la clairière de Rethondes, où il sera accompagné par la chancelière allemande, Angela Merkel. Le lendemain, c'est à Paris que les deux dirigeants commémoreront le centenaire de l'armistice qui mit fin à un carnage ayant causé près de dix millions de morts et presque autant d'invalides. Plus d'une soixantaine de chefs d'Etat et de gouvernement, dont Donald Trump, Vladimir Poutine et Benyamin Nétanyahou, sont attendus dans la capitale pour un «Forum sur la paix». L'occasion pour Macron de plaider à nouveau pour «un multilatéralisme refondé», seul capable selon lui de garantir «une paix durable». L'occasion, surtout, de méditer sur les ravages du nationalisme. Dans un entretien donné mercredi à Ouest-France, le chef de l'Etat alerte sur cette «lèpre» qui menacerait de «démembrer» une Europe «divisée par les peurs». Il confie être «frappé par la ressemblance entre le moment que nous vivons et celui de l'entre-deux-guerres». Parallèle qui a soulevé à gauche comme à droite des réactions indignées.
Loin de son palais pendant une semaine entière, le Président logera dans les préfectures et sous-préfectures, à Avesnes-sur-Helpe, à Lens ou encore à Charleville-Mézières, où se tiendra mercredi le Conseil des ministres. Ce long périple, majestueusement baptisé «itinérance mémorielle», rappelle, par son format, les voyages «en province» du général de Gaulle au début des années 60, qui lui permettaient de «récolter des moissons d'impressions et de précisions pratiques», rapportera-t-il dans ses Mémoires d'espoir (1970).
Macron, lui, doit déjà avoir une petite idée de ce qu’il va pouvoir moissonner. La grogne massive contre la hausse des carburants risque fort de se faire entendre dans les 17 communes où il a prévu de se rendre. Selon l’Elysée, cette itinérance ne sera pas seulement mémorielle, elle sera aussi l’occasion de retrouvailles avec la France contemporaine, avec ses élus et ses administrés, dont les sondages confirment, semaines après semaines, qu’ils sont toujours plus nombreux - près de 70 % selon la plupart des enquêtes - à ne plus lui faire confiance.
Programmé il y a déjà plusieurs mois, du temps où l'opinion était loin de lui être aussi défavorable, cette caravane présidentielle prend dans ce contexte une importance toute particulière. Après l'été calamiteux qui l'a plongé dans cet état de profonde disgrâce, le chef de l'Etat veut faire la pédagogie de sa politique, au cœur d'une France périphérique qu'on l'accuse d'avoir délaissée. L'occasion de donner à voir le changement de style annoncé le 16 octobre, au soir du dernier remaniement gouvernemental, lors d'une crépusculaire allocution télévisée. «J'entends les critiques», avait alors déclaré Macron, laissant penser qu'il avait compris que son «parler vrai» pouvait en «choquer certains». Il avait rendu un hommage appuyé aux élus locaux, tout particulièrement aux maires, ces «porteurs de la République du quotidien» avec lesquels il partagera cette semaine, de Pont-à-Mousson (Meurthe-et-Moselle) à Sar-Poterie (Nord) moult repas «républicains».
«Ultime réconciliation»
Ce road-trip à travers 11 départements, sur les théâtres des combats les plus sanglants, Macron voudrait en faire une célébration du «redressement». Celui de ces «terres balafrées par les deux guerres», qui ont aussi souffert, ces dernières décennies, «de la désindustrialisation et [des] coups de boutoir de la mondialisation», explique-t-il dans Ouest-France. Pour illustrer la nouvelle ambition industrielle de ces territoires, les impresarios de la tournée présidentielle ont prévu quelques visites de sites exemplaires : lundi à Pont-à-Mousson, la société pharmaceutique Novasep et jeudi à Maubeuge, l'usine Renault-Nissan dont la productivité rivalise, paraît-il, avec celle des chaînes d'Europe de l'Est. Sur la route qui le conduira de Maubeuge jusqu'à l'immense nécropole de Notre-Dame-de-Lorette à Ablain-Saint-Nazaire (Pas-de-Calais), le convoi présidentiel devrait passer à moins de 10 km d'un site industriel en sursis, l'aciérie Ascoval de Saint-Saulve. Selon l'Elysée, le chef de l'Etat n'aurait pas prévu de faire un détour par cette usine qu'un projet de reprise soutenu in extremis par l'Etat et la région doit mettre à l'abri - au moins provisoirement - d'une fermeture.
A six mois des européennes, Macron compte sur cette semaine très particulière pour se «redresser» lui-même. Comme pour souligner l’importance de ce périple, il a très inhabituellement fait savoir qu’il prenait quelques jours de repos avant de se lancer, ce dimanche à Strasbourg. Il est vrai que la rentrée a été rude : assommé par l’affaire Benalla, il a dû encaisser les démissions de deux ministres d’Etat, Nicolas Hulot puis Gérard Collomb, dont le remplacement a paru particulièrement laborieux. L’itinérance mémorielle est censée permettre de tourner cette page en donnant à voir un Macron peut-être moins jupitérien et plus participatif, mais surtout représidentialisé à la faveur d’une commémoration qui prétend faire de Paris la capitale mondiale de la paix et du multilatéralisme.
Bien décidée à ne pas lui laisser cette chance, une partie de l'opposition de droite s'est efforcée ces derniers jours de faire enfler une polémique sur l'absence de parade militaire et d'hommage aux grands maréchaux français pour célébrer «la victoire». Au risque de décevoir Donald Trump, emballé par l'art français du défilé militaire, qu'il a découvert le 14 juillet 2017, l'Elysée assume un programme commémoratif auquel sont associés «l'ensemble des ex-belligérants» : «Pour la paix des mémoires dans l'UE, il ne s'agissait pas de célébrer une victoire militaire.»
«Si nous avons gagné la guerre, nous avons perdu la paix. Parce que cette victoire s'est construite sur l'humiliation du partenaire allemand. Le traité de Versailles a préparé les frustrations à venir. On ne gagne rien dans l'humiliation de l'autre», explique Macron, qui assume de vouloir «célébrer la paix», celle qui fut rendue possible par les pères de l'Europe qui avaient compris, eux, «les leçons de Versailles». C'est pourquoi le programme aura une forte connotation franco-allemande. Dimanche soir, dans la cathédrale de Strasbourg, c'est au côté du président Frank-Walter Steinmeier que Macron assistera au «concert d'amitié» qui ouvrira les commémorations. Et c'est avec Merkel que le chef de l'Etat conclura samedi à Compiègne son itinérance. L'Elysée insiste sur le caractère «hautement symbolique» du premier déplacement des dirigeants français et allemand dans la clairière de Rethondes, lieu de deux armistices, celui de 1918 puis celui qui prétendit l'effacer, le 22 juin 1940. Un geste «d'ultime réconciliation», dans la lignée de la rencontre De Gaulle-Adenauer en 1958 et de la poignée de main Mitterrand-Kohl en 1984. Autre «symbole» souligné par la présidence française : Macron a tenu à ce que le 11 novembre à Paris, il revienne à Merkel de prononcer le discours d'ouverture du Forum sur la paix, qui réunira pendant trois jours environ 10 000 personnes à la grande halle de la Villette. Une semaine plus tard, le président français prendra la parole à Berlin devant le Bundestag.
Tirailleurs
Les historiens qui travaillent depuis près d'une décennie à la commémoration du centenaire font valoir que plus qu'une victoire militaire, la Grande Guerre est, pour les Français, «une mémoire familiale et communale» dont témoigne l'énorme succès de «la Grande collecte», sorte de vide-greniers auquel des milliers de personnes ont apporté leurs archives familiales. Le programme du chef de l'Etat devrait toutefois rassurer ceux qui s'inquiètent que les poilus ne soient pas honorés à la hauteur de leur sacrifice. Ils le seront mardi dans la Meuse sur la crête des Eparges, d'où le jeune soldat Maurice Genevoix ramena, dès 1915, le premier grand récit littéraire du carnage. Ils le seront bien sûr à Verdun et au mémorial de Notre-Dame-de-Lorette, où sont gravés dans l'Anneau de la mémoire 600 000 noms de combattants, sans distinction de nationalité. Mardi, à Reims, Macron a prévu de rendre hommage, en présence du président malien, Ibrahim Boubacar Keïta et de plusieurs diplomates d'Afrique subsaharienne, aux 130 000 tirailleurs «sénégalais» mobilisés par l'empire colonial. Mercredi, dans l'Aisne, le clairon original du caporal Sellier, emprunté au musée de l'Armée, sonnera à La Flamengrie, cent ans tout juste après qu'il a annoncé, dans ce même village, le tout premier cessez-le-feu du front occidental.