Menu
Libération
Pouvoir d'achat

Carburants : Matignon récolte la taxe et la gamelle

A l’approche de la mobilisation contre la hausse des prix à la pompe du 17 novembre, l’exécutif ne compte pas lever le pied, malgré les charges des oppositions sur le pouvoir d’achat et les doutes de certains élus LREM face aux remontées du terrain.
publié le 4 novembre 2018 à 20h46

Diffusé sur Snapchat, le message ne fait pas dans la nuance : «Ils payent même pas d'essence, ils ont tous des chauffeurs gratuits et ils nous mettent le litre à 1 euro 60. Partagez, on va voir […] si on est vraiment des moutons ou s'il y a moyen de se faire respecter.» Comme d'autres harangues anonymes sur les réseaux sociaux, l'appel invite les automobilistes à protester le 17 novembre contre la hausse de la fiscalité des carburants. Dans leur mire : le gouvernement, dont le projet de budget 2019 ajoute, au renchérissement «spontané» du pétrole, une hausse des taxes sur l'essence et le diesel.

Voilà deux semaines que l’exécutif assume une inconfortable fermeté. Pas question de revenir sur l’augmentation de la contribution climat énergie prévue par le projet de budget pour 2019 : 6,5 centimes par litre pour le diesel, et 2,9 centimes pour l’essence. La hausse s’inscrit dans une «trajectoire» adoptée en 2014 et accentuée en 2017 par la nouvelle majorité. La fiscalité des carburants continuera à augmenter jusqu’en 2022, pour faire converger les prix du diesel et de l’essence, et soutenir les véhicules les moins polluants.

Frondes

Que les hauts prix à la pompe soient surtout dus aux cours du pétrole n’apaise ni les automobilistes ni les oppositions. Les premiers ont pris pour symbole le «gilet jaune» de sécurité. Manière de réactiver la mémoire de la fronde fiscale des «bonnets rouges», ces Bretons opposés à l’écotaxe en 2013.

Côté politique, Marine Le Pen, a promis que son parti prendrait part aux rassemblements du 17 novembre. Pour La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon a dit sa sympathie pour le mouvement, tout en excusant ceux de ses sympathisants qui ne souhaiteraient pas voisiner avec l'extrême droite. Chez Les Républicains, on se veut le premier avocat de ceux qui «fument des clopes et qui roulent au diesel», selon une expression prêtée au porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux, et démentie par celui-ci. Ségolène Royal, une des premières à avoir critiqué le gouvernement sur le sujet, a jugé «malhonnête» la justification d'Edouard Philippe sur la lutte contre le réchauffement climatique. «Les Français le savent. Il faut un moratoire sur les taxes qui sont trop élevées. Je demande au gouvernement de revenir à la trajectoire de la taxe carbone telle qu'elle a été votée dans la loi de transition énergétique», a-t-elle plaidé dimanche sur RTL, affirmant que «le gouvernement actuel a quasiment doublé la taxe carbone, c'est insupportable». «C'est un mensonge et de la démagogie, rétorque le député LREM proche de Nicolas Hulot Matthieu Orphelin. Alors [qu'elle] était ministre, la loi de finances rectificative pour 2015 avait par exemple prévu une taxe carbone de 39 euros la tonne de CO2 en 2018 ; le gouvernement actuel l'a portée à 44 euros la tonne. La différence est seulement d'un peu plus d'1 centime par litre !»

Pour les oppositions, le mouvement relaie utilement deux procès dans lesquels l'exécutif se débat de longue date. Défenseur déclaré du pouvoir d'achat, le gouvernement reprendrait d'une main ce qu'il distribuerait de l'autre ; «président des métropoles», Macron agirait sans égard pour la «France périphérique» qui n'a pas d'alternatives à la voiture. Deux fronts dont le gouvernement tentait de se dégager : en faisant valoir la baisse de la taxe d'habitation pour 80 % des contribuables et celle des cotisations salariales ; et en plaidant pour un nouveau départ dans ses relations avec les territoires, avec la création d'un ministère dédié et des rencontres avec les élus locaux.

Malgré ce large front adverse, il n'est question dans le camp présidentiel que d'«assumer» cette impopulaire mesure. «Je préfère ça à un "chèque carburant" qui sponsoriserait l'augmentation du pétrole et nous entraînerait dans l'impasse écologique et budgétaire», tranche le député LREM Stanislas Guérini. A Matignon, si l'on se veut «lucide sur l'effort demandé, et conscient qu'il pèse plus sur certains que sur d'autres», on ne voit pas non plus d'autre issue que d'«assumer» la hausse. Et de faire valoir les dispositifs existants, notamment la prime à la conversion pour l'achat d'un véhicule plus propre.

Mémoire

De quoi inquiéter ces élus de la majorité qui, constatant l'impopularité de la mesure, plaident pour un ajustement. Dans un courrier à Edouard Philippe, Matthieu Orphelin notait dès juillet l'envol des prix à la pompe, «qui touche particulièrement les ménages ruraux et périurbains», plaidant pour une «prime mobilité-travail» sous conditions de ressources dans ces territoires. Sans succès. C'est à d'autres fins que l'exécutif emploie la mémoire de l'ex-ministre Hulot : «On a bien vu avec lui qu'en matière d'écologie, les petites hésitations étaient scrutées, souligne Matignon. Et faisaient même plus de bruit que les grandes ambitions.»