Lundi matin, au premier jour d'une «itinérance mémorielle» simultanément dédiée à la mémoire de la Grande Guerre et aux questions très contemporaines liées à la «transformation» du pays, Emmanuel Macron a choisi de se rendre en Lorraine, sur une colline verdoyante qui domine une plaine où tombèrent, entre le 19 et le 23 août 1914, près de 40 000 soldats français. Dans les premières semaines du conflit, la bataille de Morhange (Moselle) est restée dans les annales comme l'une des plus meurtrières de la guerre de 14-18, avec 27 000 victimes pour la seule journée du samedi 22 août. «C'est le jour le plus noir ; un angle mort de la Grande Guerre», explique l'historien Joseph Zimet, directeur de la Mission du centenaire. C'est pourquoi, selon lui, le chef de l'Etat devait commencer par Morhange.
Défaite française, ce fut longtemps la bataille honteuse oubliée par la République. Depuis la visite de Poincaré en 1919, l’Elysée souligne qu’aucun chef de l’Etat n’avait honoré les victimes de cette hécatombe. Le général de Gaulle est bien passé par Morhange en 1961, mais c’était avant que les Allemands ne financent, en 1964, la reconstruction du monument que les nazis avaient détruit en 1940.
Se mettre «à portée d’engueulade»
Quelques centaines de personnes – anciens combattants, élus locaux, écoliers de Morhange – étaient invitées à assister à la cérémonie, au sommet de la colline, baignée ce matin d'automne d'une belle lumière brumeuse. Entre sonneries aux morts et Marseillaises, les uns échangent à voix basse sur la colère qui monte contre le prix des carburants, les autres sur la tenace impopularité du chef de l'Etat et de ses réformes. Illustration de cet «entrelacs de mémoire et de territoire» qui caractériserait, selon l'Elysée, le long périple présidentiel à travers les régions Grand-Est et Hauts-de-France. «Il faut expliquer, nous devons nous mettre à portée d'engueulade. Si les gens sont inquiets, c'est qu'on s'est mal expliqués», confie l'ex-ministre de l'Agriculture Stéphane Travers.
A portée d’engueulade ? Pas trop tout de même : à Morhange, puis de nouveau à Pont-à-Mousson lundi, un impressionnant dispositif policier quadrille les premières étapes du périple présidentiel. Si les Lorrains mécontents sont tenus à distance, leurs élus sont en revanche soignés. Après la cérémonie, Macron leur a offert, à Pont-à-Mousson, le premier des nombreux «déjeuners républicains» inscrits au programme de son périple. Au menu : sécheresse, pesticides, transition écologique et, bien sûr, prix des carburants, gros sujet de grogne dans ce département où Marine Le Pen et de son parti (le Rassemblement national) enregistre des scores records.
«Reconquête collective»
Dans un entretien publié ce lundi par les Dernières nouvelles d'Alsace, Macron défend «les choix courageux» de son gouvernement, engagé dans une entreprise de «reconquête collective». Il assure «comprendre la colère» tout en faisant valoir qu'on ne peut pas «prétendre tout changer en quinze mois», tout comme il aura fallu du temps, après 1918, pour construire «l'essor français» sur les terres ravagées de l'Est. Cet essor, il a tenu à le célébrer en fin de journée avec quelques «champions» industriels de la région, invités au sommet Choose France avec pas moins de six ministres, tous dépêchés l'après-midi (comme Macron lui-même) dans des entreprises jugées exemplaires.
Quelques heures plus tôt, sur la colline de Morhange, le chef de l'Etat avait écouté, regard grave et menton haut, le général François Lecointre, chef d'Etat-major des armées, évoquant «l'ardeur et l'enthousiasme» des soldats français lancés à la reconquête des territoires perdus de Lorraine le 19 août 1914. Montant à l'assaut en rangs serrés, à la manière des armées napoléoniennes, ils ont été méthodiquement fauchés par les mitrailleuses allemandes. A cet «effondrement général» devait pourtant succéder, selon les mots de Lecointre, un «redressement» inespéré, grâce à «tous ceux qui avaient lié leur destin personnel à celui de la France». Et le général de conclure que «Morhange résonne comme une exhortation à adopter une espérance de volonté, même lorsque l'élan initial n'emporte pas la décision et que le sacrifice paraît vain». Macron aura peut-être pensé, en cet instant, à l'élan initial sérieusement compromis de son propre quinquennat.