De toutes les étapes de son «itinérance mémorielle», c'est sans doute celle qui lui tenait le plus à cœur. Dans une ambiance parfaitement champêtre, sonorisée au loin par le braiment d'un âne et de timides caquètements, Emmanuel Macron prononçait ce mardi le seul discours de son périple de sept jours sur le front de la Grande Guerre. Il a choisi de le faire devant quelques dizaines de personnes rassemblées devant la mairie des Eparges, petit village de Lorraine qui fut, à partir de 1915, le théâtre de combats acharnés, dont Maurice Genevoix a immortalisé l'invraisemblable cruauté. Une statue de l'écrivain mort en 1980 trône au milieu du village. Célébrant sa grande œuvre, Ceux de 14, «l'immense récit» grâce auquel «l'histoire s'est faite mémoire», le chef de l'Etat a annoncé, «au moment où les voix des poilus se sont éteintes pour toujours», que les soldats feraient leur entrée au Panthéon «avec Maurice Genevoix comme porte-étendard» (lire ci-contre).
Hommages militaires
Cette décision avait été préconisée dès 2011 par le directeur de la Mission du centenaire, Joseph Zimet. Elle était approuvée par le petit-fils de l'écrivain, Julien Larere-Genevoix, aussi présent aux Eparges. «Notre chance, c'est qu'Emmanuel Macron a lu Genevoix quand il était jeune et qu'il en a fait l'un de ses auteurs préférés, ce qui est rare dans sa génération», confie Zimet, suggérant qu'il avait eu nettement moins de succès auprès de François Hollande avec sa proposition. L'Elysée précise qu'il y aura de fait deux panthéonisations : celle du romancier, et celle «à titre collectif» de la «nation combattante». Une cérémonie républicaine sera organisée le 11 novembre 2019 «avec hommages militaires», ajoute la présidence. Ce qui sonne comme une réponse implicite à ceux, à droite, qui ont reproché au chef de l'Etat de ne pas donner aux armées la place qu'elle méritait dans les cérémonies de centenaire.
Cette visite présidentielle, une première dans l'histoire du village, a comblé les animateurs de la petite association qui entretient la mémoire du champ de bataille. Jusqu'à la fameuse crête des Eparges, ravagée par un déluge d'obus. Plus de trois ans d'offensives françaises ne parviendront pas à en déloger les Allemands. Membre active de l'association locale, Claudine Boigegrain raconte son grand-père qui l'emmenait jadis «voir les entonnoirs», ces cratères creusés par les mines qui engloutissaient les soldats lancés à la conquête de la crête. Accompagné de l'arrière-petit-fils de Maurice Genevoix, Macron s'avance vers le plus vaste - «le grand entonnoir» - pour y lancer un bouquet de fleurs avant de se figer au son de la première sonnerie aux morts de cette longue journée. Avant de rejoindre Reims, où un hommage devait être rendu dans la soirée aux «tirailleurs sénégalais», le chef de l'Etat s'est attardé à Verdun, visitant l'incontournable ossuaire de Douaumont et le village disparu de Fleury-devant-Douaumont, déclaré «mort pour la France» en 1918 et transformé en forêt d'épicéas, presque centenaires pour certains. L'un des lycéens qui accompagnaient le Président a conclu cette déambulation historique par une lecture de la déclaration de Clemenceau - «Il est plus facile de faire la guerre que la paix» - devant la chapelle construite à l'emplacement de l'ancienne église où veille une Vierge Marie, ceinte pour l'occasion d'un drapeau européen.
Grande méfiance
Avant d'entamer sa journée de mémoire, Macron s'était invité dans la matinale d'Europe 1. Martelant, entre autres, son message européen (les progressistes contre les populistes) à six mois du renouvellement du Parlement de Strasbourg. Et tentant de déminer la colère persistante sur les prix de l'essence, avant l'appel à manifester du 17 novembre. A défaut de convaincre les populations des bourgs traversés, le plus souvent tenues à bonne distance, le chef de l'Etat essaie de persuader les élus locaux qu'il n'est pas ce libéral parisien et arrogant tenu en disgrâce par l'opinion. Mais la méfiance est si grande qu'elle s'instille jusque dans ses courts échanges avec les anciens combattants qui lui rendent les honneurs devant l'ossuaire de Douaumont. L'un lui demande de mieux contrôler l'immigration, un autre le supplie de rétablir un vrai service militaire pour recadrer la jeunesse, quand un troisième, maire de village, lui suggère de ne pas «toujours solliciter les mêmes» classes moyennes. A tous, il répond qu'il ne faut pas s'inquiéter, qu'il fait le nécessaire. A Verdun, on lui parle du pouvoir d'achat et de sa politique qui écraserait les Français. «On n'écrase personne, répond le Président à une retraitée. Vous n'êtes pas juste avec le gouvernement. […] Je parie que vous êtes gagnante», via la baisse de la taxe d'habitation. Quant à la hausse des prix à la pompe, que l'opposition impute au gouvernement à cause de ses choix en matière de fiscalité écologique, la réponse est encore plus claire : c'est la faute des pays producteurs et de l'envolée des prix mondiaux. En d'autres termes : «Le carburant, c'est pas bibi.»