Actualisé le 7 novembre à 7 heures
Les secours ont travaillé sans relâche toute la nuit, sous une pluie battante. Ils sont près de 120 marins-pompiers à s'activer depuis l'effondrement de deux immeubles, survenu lundi matin vers 9 heures rue d'Aubagne à Marseille. Un travail minutieux autant que complexe, les gravats s'élevant par endroits sur plusieurs mètres de haut. Et surtout une course contre la montre pour tenter de retrouver d'éventuels survivants. Si les chances sont minces, «on a découvert quelques poches de survie dans la première partie des opérations de déblaiement qui font qu'il y a peut-être de l'espoir», a indiqué mardi matin Christophe Castaner, le ministre de l'Intérieur, présent depuis la veille à Marseille. Juste avant qu'un pompier ne découvre le premier corps, celui d'un homme, a uniquement précisé le procureur de la République.
Plus tard dans la journée, trois autres personnes, un autre homme et deux femmes, ont été extraites des gravats. Le corps d’une cinquième victime, un homme, a été découvert ce mercredi matin. Et le bilan humain pourrait s’alourdir. Si l’immeuble du numéro 63, l’un des deux à s’être littéralement effondré sur lui-même, était entièrement muré et donc a priori inhabité, le second bâtiment détruit, le numéro 65, comptait lui dix appartements, dont neuf habités. Au total, cinq résidents de l’immeuble n’ont pas donné signe de vie depuis lundi matin, et les autorités s’inquiètent aussi pour trois autres personnes qui auraient pu leur avoir rendu visite la veille de l’accident.
Cellule de crise
Au fil des heures, dans ce quartier populaire d’ordinaire très animé, des noms de disparus émergent. Il y a Simona, une jeune Italienne de 25 ans qui habitait au troisième étage dont on est sans nouvelle. Même chose pour Fabien, son voisin d’en face, ou Julien, celui du second. Amine, un jeune du quartier, raconte qu’au deuxième étage, il y avait aussi trois hommes qui avaient passé la nuit sur place après une soirée arrosée. L’un d’entre eux serait sorti acheter des cigarettes avant l’effondrement.
Imane, un homme d'une trentaine d'années, est à la recherche de sa mère, qui habitait au premier étage avec son petit frère de 9 ans. «Elle l'a accompagné à l'école le matin, mais n'est pas revenue le chercher», dit-il, le regard hagard, reprenant sa route vers la mairie de secteur. C'est là-bas qu'a été installée une cellule de crise où sont appelées à se présenter toutes les personnes qui seraient sans nouvelle d'un proche, ainsi que tous ceux qui seraient concernés par l'effondrement, notamment les personnes évacuées des immeubles voisins. Selon les autorités, une centaine de familles ont été évacuées. Des solutions de relogement temporaire leur ont été proposées.
Frédéric, lui, a pu dormir chez un ami. Le jeune homme habite juste en face du numéro 65. «C'est ma sœur qui m'a réveillé lundi matin pour me donner l'info, raconte-t-il. J'avais senti une sorte de tremblement de l'immeuble juste auparavant, mais j'avais mis ça sur le dos des travaux réalisés dans la rue.» Dès qu'il ouvre sa fenêtre, les pompiers l'interpellent : il faut partir, tout de suite. Comme d'autres habitants du quartier, il a été autorisé à revenir dans son appartement lundi en fin d'après-midi pour récupérer quelques affaires. «Les pompiers nous ont dit qu'on ne pourrait pas revenir avant une dizaine de jours, le temps de vérifier l'état de sécurité des immeubles.»
«Incurie de la mairie»
Ce n'est pas ce qui préoccupe le jeune homme. Il est surtout en colère. Car au-delà de la rue d'Aubagne, c'est l'état de délabrement de nombreux immeubles du quartier Noailles qui est mis sur la table depuis la catastrophe de lundi. A la colère des habitants qui dénoncent l'inaction des pouvoirs publics s'est ajouté celle de nombreux élus. A commencer par Jean-Luc Mélenchon, le député du secteur. «Ce sont les maisons des pauvres qui tombent et ce n'est pas un hasard, a-t-il pointé. A la mairie, ils sont au pouvoir depuis vingt-cinq ans et ils laissent pourrir des immeubles sur pied !»
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Depuis 2011, le quartier populaire de Noailles est l'enjeu d'un vaste plan de requalification dont les effets tardent à se faire sentir. Il y a pourtant urgence : dans des documents publiés en janvier, la Société locale d'équipement et d'aménagement (Soleam), justement chargée de mettre en œuvre le réaménagement du centre-ville marseillais, décrivait «une forte dégradation du bâti notamment liée à la vétusté des immeubles». «Sur les 3 450 logements recensés, le diagnostic a mis en évidence que 48 % des immeubles, soit environ 1 600 logements, sont considérés comme du bâti indécent ou dégradé», précise le document.
Cette situation alarmante, l'association Centre-ville pour tous (CVPT) la pointe depuis plusieurs années. En vain, soutient aujourd'hui son cofondateur Patrick Lacoste. «L'effondrement des deux immeubles et le drame humain qui en résulte sont une conséquence directe de l'incurie de la mairie», accuse-t-il, dénonçant un «abandon volontaire» de la part de l'équipe municipale : «Il a fallu qu'il y ait des morts, c'est ahurissant…»
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De son côté, la mairie ne souhaitait pas répondre, mardi, aux questions mettant en cause sa politique de l’habitat. L’affaire est désormais entre les mains de la justice, qui a ouvert une enquête pour déterminer les causes exactes de l’effondrement des deux immeubles de la rue d’Aubagne.