Place publique a mis fin à un suspens loin d’être anodin : le mouvement ne compte pas présenter une liste, seul dans son coin, lors des prochaines élections européennes de mai. Les signataires du manifeste fondateur que Libération publie sont conscients que la course à la candidature affiche déjà complet. Et surtout, que ça ne mènera pas à grand-chose. Cette décision met à terre une critique à leur égard.
Beaucoup d’observateurs se sont replongés dans le passé afin de déterrer une action plus ou moins similaire. Aux européennes de 1994, plusieurs figures de gauche figuraient sur la liste «l’Europe commence à Sarajevo». Résultat dans les urnes : 1,57 % des voix alors que des sondages leur avaient un temps prédit plus de 10 %. Glucksmann père en était.
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Dans un premier temps, le mouvement Place publique souhaite faire «émerger» de nouvelles têtes dans le débat, «produire» des idées et attirer tous les curieux, «tous les orphelins» politiques. Le tout, sans esquiver les urnes. Pour le moment, ils n'osent pas le dire trop fort mais leur objectif est clair : rassembler autour d'eux la gauche écologique et le monde associatif afin de véritablement «peser». Raphaël Glucksmann est persuadé qu'un score à «deux chiffres» est envisageable aux européennes. Sauf que le «rassemblement» s'annonce très compliqué.
Baisers
Et pour cause, l'arrivée de Place publique dans le jeu politique fait jaser. L'accueil est mitigé. On n'imagine pas un instant Raphaël Glucksmann poser tout sourire avec Jean-Luc Mélenchon. Récemment, l'essayiste a affirmé que La France insoumise ne permet pas à une «gauche intelligente d'émerger». Des mots «blessants», «inutiles» répondent les insoumis. L'ambiance est beaucoup plus tendre avec Benoît Hamon. Plusieurs signataires font partis des 6,36 % d'électeurs qui souhaitaient envoyer l'ancien socialiste à l'Elysée. Il ne l'a pas oublié. «Ce lancement est une très bonne chose. Ça fait longtemps qu'il n'y a pas eu des intellos à gauche qui s'engagent, explique Hamon. Ceux du passé sont tous devenus réactionnaires, ils polluent le débat.» En politique, les bons mots et les baisers à distance ne sont jamais anodins. Le mouvement Génération·s n'est pas contre une alliance dans les urnes avec Glucksmann et ses copains, ils échangent régulièrement.
Place du Colonel-Fabien, le Parti communiste se concentre, lui, sur son congrès, à la fin du mois de novembre, qui se déroulera dans une ambiance électrique. Mais les communistes suivent attentivement les premiers pas de Place publique. «Benoît Hamon et le PCF n'arrivent pas à décoller dans les sondages, chacun ne pèse pas grand-chose seul. Une alliance avec un mouvement qui met en avant des gens de la société civile serait une bonne chose, ça pourrait marcher. Un peu comme Europe Ecologie-les Verts [EE-LV] lors des européennes de 2009», souffle un écologiste qui a pris ses distances avec la politique.
«Guerre»
Pendant ce temps, EE-LV trace sa route. Le secrétaire national, David Cormand ne semble pas emballé par l'irruption de Place publique. «Des nouveaux sauveurs qui racontent la même chose que le voisin. Et demain il y en aura encore des nouveaux. Rien de neuf», tacle-t-il en souriant. Et Yannick Jadot, la tête de liste pour les européennes, reste sur sa ligne : il refuse d'entendre parler «d'alliances» avec les autres formations politiques. Une stratégie qui irrite à gauche, où la liste des hostiles à Jadot gonfle chaque jour un peu plus. «Il rate un épisode important en refusant de s'ouvrir, de discuter. Il s'imagine que l'écologie lui appartient», peste Benoît Hamon. David Cormand le défend. Il répond : «La gauche, ce n'est pas de notre guerre, nous, c'est l'écologie.»
La fin de non-recevoir d'Europe Ecologie-les Verts ne file pas le sourire à Place publique. Les signataires espèrent faire bouger les choses dans les prochains mois. Ils observent également l'évolution des débats au Parti socialiste, sans «croire au miracle». Un signataire : «Beaucoup de personnes de notre génération ont coupé avec les socialistes. Trop déçus. Et, franchement, ils ne donnent pas très envie, ils ont l'air empêtrés dans leur crise.» En revanche, une petite lumière pourrait s'allumer en Bretagne. Le démissionnaire du gouvernement, Nicolas Hulot, s'est renseigné au sujet de Glucksmann. Il ne le connaît pas mais le trouve «très intéressant». Une rencontre doit avoir lieu dans les prochains jours.