L'occasion fait le larron : en pleine jacquerie des automobilistes contre la flambée des prix à la pompe, les géants de la grande distribution ressortent de leur tiroir à promotions le fameux «carburant à prix coûtant». Alors que le litre de diesel a atteint un niveau record à plus de 1,51 euro en moyenne dans les stations françaises, dépassant désormais celui de l'essence (1,49 euro pour le super sans plomb 95 E-10) selon le site gouvernemental de référence, Carrefour et Leclerc, imités par leurs concurrents Intermarché et Auchan, rivalisent depuis le début de la semaine de promesses d'économies sur le plein de carburant. Ce sont les «Jours carburants» à prix coûtant jusqu'au 17 novembre chez Carrefour (la date n'est pas un hasard, c'est celle du blocage national contre la hausse des carburants); l'opération «Pas de marge sur les carburants en novembre» chez Leclerc ; ou encore un bon de réduction de 5 euros en magasin sur un chariot de 50 euros minimum pour tout achat d'essence ou de gazole chez Casino…
Jamais en retard d'un coup de com, Michel-Edouard Leclerc a bien résumé la manœuvre démago des hypers mardi matin sur France-Info: «Celui qui tire la croissance, c'est le consommateur», alors pour lui cette grogne des automobilistes contre la taxation «écologique» des carburants assumée par l'exécutif «est légitime», et «il faut savoir choisir son camp». Mais aussi opportunistes qu'elles soient, ces belles promesses d'économies à la pompe parlent évidemment au portefeuille des Français qui, quoiqu'en dise le gouvernement, ont le sentiment de voir leur pouvoir d'achat fondre comme la banquise au Groenland sous l'effet du réchauffement climatique. Pourtant, à y regarder de plus près, le gain n'est pas vraiment à la hauteur des attentes des automobilistes: si le litre de carburant coûte en moyenne 10 centimes de moins en hyper que dans une station standard, l'économie supplémentaire à attendre ne dépasse pas les 2 centimes sur le litre à prix coûtant… ce qui, pour les habitués, ramène le gain à 1 petit euro pour 50 litres de carburant !
La ficelle est grosse
De quoi se demander si le jeu en vaut vraiment la chandelle : le modeste bénéfice réalisé risque de s’envoler illico en fumée d’échappement si d’aventure le conducteur laisse tourner son moteur en attendant son tour (ce qui rappelons-le n’est pas une bonne chose pour la température de la planète et la qualité de l’air que nous respirons). D’autant que certains pétroliers proposent eux aussi, depuis peu, leur carburant à prix discount, comme par exemple Total qui s’autoconcurrence avec son réseau de stations Total Access.
Pour les hypers, l’effort proclamé en faveur du pouvoir d’achat des Français, s’annonce d’autant plus limité que leur marge sur les carburants est très faible: à prix coûtant, elle tombe à un centime par litre seulement… Et c’est là qu’apparaît le but plus ou moins avoué de ces opérations «carburant à prix coûtant»: transformer l’essence en simple produit d’appel pour faire passer l’automobiliste à la caisse de ses magasins avec un chariot bien rempli. Casino ne s’en cache d’ailleurs pas avec ses bons de réduction délivrés à la pompe. Et les mêmes géants de la grande distrib déclinent désormais ce procédé attrape-consommateur dans d’autres secteurs: Leclerc et Casino viennent tout juste de lancer des offres d’électricité à prix cassé… mais en offrant la réduction par rapport aux tarifs EDF sous forme de bons d’achat dans leurs magasins. La ficelle est bien grosse mais le coup de com des renards de la grande surface sur le carburant à prix coûtant a déjà atteint son objectif. La preuve, les automobilistes qui font passer leur budget carburant avant leur éventuelle culpabilité climatique, font la queue à la pompe.