Il a connu trois chefs d’Etat, composé avec différents ministères et de nombreuses délégations étrangères. Féru d’histoire, Joseph Zimet dirige la Mission du centenaire depuis 2012.
Comment est venue l’idée de cette mission ?
A l'été 2010, je travaillais au secrétariat d'Etat aux Anciens combattants et je venais d'organiser le 70e anniversaire de l'appel du 18 Juin à Londres avec Stéphane Hessel, Daniel Cordier, Raymond Aubrac. Peu de temps après, Henri Guaino, qui était à l'Elysée, m'avait envoyé Sylvie Genevoix, la fille de Maurice Genevoix, et son mari Bernard Maris. Je les ai reçus dans mon petit bureau des anciens combattants, au ministère de la Défense. Ils proposaient de commémorer le centenaire de la Première Guerre mondiale en faisant entrer Maurice Genevoix au Panthéon. Mais nous sommes tombés d'accord pour dire qu'on ne pouvait pas résumer cet événement à cela. On a donc commencé à égrener des dates importantes : Jaurès, Genevoix, la bataille de la Marne… Et l'on s'est dit que ce centenaire pourrait être aussi important que le bicentenaire de 1789, une grande séquence politique. Personne n'y songeait alors. On a donc constitué un attelage étonnant avec la Sylvie Genevoix, l'économiste Bernard Maris, et le haut fonctionnaire Michel Bernard, né dans la Meuse. Puis je suis retourné voir Guaino avec des propositions.
Vous l’avez donc convaincu…
Oui, j’ai été missionné en mars 2011 par Nicolas Sarkozy et Henri Guaino. Je leur ai remis mon rapport de préfiguration de ces commémorations. On a monté la mission en avril 2012 et Bernard Maris a été notre premier conseiller scientifique. Mais Sylvie Genevoix a été emportée par un cancer quelques mois plus tard. Bernard Maris a été brisé par le chagrin. Il est mort deux fois : ce jour-là, et en 2015 sous les balles des frères Kouachi. C’est finalement Michel Bernard qui prononcera son oraison funèbre.
Les politiques étaient conscients des enjeux ?
Henri Guaino, oui, il avait une relation forte à l’histoire. Nicolas Sarkozy, lui, était englouti par la campagne électorale. En revanche, je n’ai pas réussi à intéresser François Hollande à la panthéonisation de Maurice Genevoix, j’ai essayé pendant quatre ans. Pourtant Genevoix a traversé cette guerre en tant qu’écrivain, combattant, académicien. De Gaulle avait fait de lui le porte-parole de la génération combattante de 1914-1918. Genevoix a d’ailleurs été à l’origine de l’ouverture du mémorial de Verdun. Il a témoigné jusqu’à la fin de ses jours, portant une parole de vérité, sans gloriole, avec son pedigree de normalien et son aura d’académicien. Emmanuel Macron a été plus facile à convaincre, il en est un lecteur.
Sans cette rencontre avec Sylvie Genevoix, cette mission n’aurait donc pas existé ?
Disons que c’est le hasard de cette rencontre qui a été à l’origine de la création de cette mission interministérielle. L’idée, dès le début, était qu’elle soit pluridisciplinaire. Elle accueille des diplomates, des historiens, des enseignants, des militaires - le ministère des Armées est notre premier actionnaire… Ce qui nous a permis de proposer un cycle commémoratif en résonance avec la réalité du moment.
Quand Hollande arrive à l’Elysée, il reconduit le dispositif ?
J’avais constitué en 2012 un conseil scientifique très indépendant présidé par un grand historien, Antoine Prost, connu pour ses convictions de gauche. Il y a eu à l’été 2012 les inévitables règlements de compte sur la Maison de l’histoire de France (MHF), initiée par Nicolas Sarkozy mais contestée par les historiens, dont le projet sera abandonné par François Hollande. Nous avons été assimilés à tort à la MHF et on a failli être emportés par la polémique. On a été sauvés par Sylvie Hubac, la directrice de cabinet de Hollande, qui a tout de suite saisi l’importance du dispositif et son caractère apolitique. En 2012, l’Elysée a maintenu le projet. On n’a pas eu de mal à convaincre les nouvelles équipes que le centenaire serait un moment fort du quinquennat. Pour le centenaire de la bataille de Verdun, on avait diverses options. Martin Schulz, alors président du Parlement européen, avait proposé une grande réunion européenne à Verdun qui aurait pu faire avancer l’histoire. Mais Hollande ne voulait pas risquer de voir débarquer toute l’extrême droite européenne à Verdun, il ne le sentait pas. Il a sans doute eu tort. On aurait pu créer alors une nouvelle jurisprudence mémorielle en faisant entrer Verdun dans le patrimoine mémoriel.
Il y a eu la polémique autour de la venue du rappeur Black M…
Aujourd'hui, on dirait que c'est une fake news. Il avait été invité par le maire de Verdun sur les conseils du secrétariat d'Etat aux anciens combattants afin de proposer aux jeunes un moment récréatif après une semaine d'activités commémoratives. On n'aurait pas dû céder, cela a été un épisode très douloureux.
Les militaires ont créé la polémique en regrettant que l’armée française ne soit pas davantage célébrée, vous le comprenez ?
Ils veulent célébrer la victoire, c'est légitime. Mais, vu du ministère des Affaires étrangères, si on invite la chancelière allemande et les Vingt-Sept on ne peut pas décemment fêter la victoire des armées françaises. Nous devons répondre aux différentes demandes sociales qui s'expriment. La demande des professeurs d'histoire-géographie, par exemple, n'est pas la même que celle des officiers généraux. La force de la mission a été de fabriquer un projet commémoratif acceptable par tous. C'est l'honneur de la mission de réunir les lecteurs de Valeurs Actuelles et ceux de l'Humanité.
Il y a ceux qui pensent que cette guerre a été une boucherie ; ceux qui y voient une grande victoire pour la France à l’image des militaires ; ceux en quête d’une approche mondiale, à l’exemple des diplomates et des historiens. Les militaires français et allemands travaillent ensemble au sein de la brigade franco-allemande. Les Français ont compris que les Allemands n’étaient plus l’ennemi. Dès lors qu’on invite l’Allemagne à cette commémoration,il est difficile de faire un défilé de la victoire. Ce contexte diplomatique n’empêche pas de rendre hommage aux anciens. L’étape aux Eparges était aussi une façon de célébrer la mémoire combattante. La difficulté, c’est de comprendre que la mémoire de la Grande Guerre est une mémoire sociale et pas juste une mémoire combattante. L’émotion a migré du monument aux morts vers la généalogie familiale.
De quoi êtes-vous le plus fier ?
En mars, nous montons les assises du centenaire à l’école. L’effervescence pédagogique dans les classes a été incroyable. On a donné à penser sur un thème d’une extrême gravité, la mort de masse. On en a fait un objet pédagogique. Autre point positif, le compagnonnage avec les historiens. L’histoire n’est pas un paysage monolithique : deux écoles historiographiques s’affrontaient, on a réussi à les faire tenir dans un même conseil scientifique. J’ai mis dès le début la Mission du centenaire sous le regard vigilant des historiens. Ils ont produit une note sur le 11 Novembre et les traités de paix qui va nourrir le discours d’Emmanuel Macron dimanche.
Vous avez senti une évolution des projets au fil des ans ?
Le paysage géopolitique a beaucoup changé entre 2014 et 2018. En 2014, on se réunissait pour commémorer la paix. Aujourd’hui, on va plutôt essayer de marteler le «plus jamais ça» car tout est remis sur l’établi. La Société des nations est le berceau du multilatéralisme qui est aujourd’hui remis en question. Ce dimanche est une journée très internationale avec une cérémonie du souvenir, le matin, sur le thème de la tragédie mondiale, et le Forum mondial sur la paix l’après-midi, ouvert par le secrétaire général des Nations unies. Dès 2012, j’avais une préoccupation : nous arrimer à l’Allemagne sur une vision commune et rassurante. On a fait un gros travail en 2013-2014 pour dire «on va le faire avec vous». En 2016, on a fait Verdun main dans la main. Le président allemand est venu à Strasbourg le 4 novembre, Macron est à Compiègne dimanche avec Merkel avant d’aller parler au Bundestag le 18 novembre. Que l’Allemagne soit hôte d’un projet commémoratif de 1914-1918 est hautement symbolique. L’Allemagne, le Royaume-Uni et les Etats-Unis sont les pays avec lesquels on a le plus travaillé.
Et les Africains, qui ont largement pris part à cette guerre ?
Le dernier grand musée ouvert à Washington est le Musée des civilisations africaines-américaines. Son premier partenariat international sera au printemps 2019 avec nous. Cela permettra de mettre en valeur l’engagement des Afro-Américains dans cette guerre et l’accélération que cela a représentée pour eux dans la conquête des droits civiques. Et hommage a été rendu à la «Force noire» à Reims le 6 novembre. Globalement, on a traversé ce centenaire avec deux demandes très fortes : honorer la mémoire des tirailleurs sénégalais et rendre hommage au rôle des femmes.
Ordre de mission
Depuis 2012, la Mission du centenaire compte 10 à 15 personnes. Elle a pour fonction d'accompagner et coordonner les différentes initiatives lancées dans le pays. Six ministères figurent dans son conseil d'administration, celui des Armées étant prédominant. L'approche privilégiée est pluridisciplinaire (recherche, éducation, tourisme mémoriel…). «On a construit un dispositif qui aurait pu être l'usine des Shadoks, et cela a marché», s'enorgueillit Zimet. Son budget représente 5 à 10 millions d'euros par an en fonction des événements. «A titre de comparaison, les Australiens ont ouvert un musée en 2018 à l'est d'Amiens qui leur a coûté 70 millions d'euros. Et le Musée de la Grande Guerre de Meaux a coûté 30 millions, dont 2 seulement apportés par l'Etat», explique le directeur de la mission.