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Récit

Marche blanche à Marseille : «Pour l'instant, on est dans la peine. Après viendra la rage»

Effondrements de la rue d'Aubagne à Marseilledossier
Une marche blanche a réuni plusieurs milliers d'habitants ce samedi, cinq jours après l'effondrement de deux immeubles qui a fait huit morts. Ce samedi, un balcon s'est effondré, blessant trois personnes.
Lors de la marche blanche à Marseille samedi. (Photo Patrick Gherdoussi pour Libération)
par Stéphanie Harounyan, correspondante à Marseille. Photos Patrick Gherdoussi
publié le 10 novembre 2018 à 18h32
(mis à jour le 10 novembre 2018 à 18h51)

La banderole, en tête du cortège, est portée par les proches des victimes. «Noailles meurt. Marseille en deuil», peut-on y lire. La foule est dense ce samedi après-midi sur le cours Julien à Marseille. Ils sont des milliers à s’être déplacés pour participer à la marche blanche organisée par les habitants de Noailles en mémoire des huit victimes de la catastrophe qui a frappé, lundi matin, le quartier du centre de Marseille. A quelques mètres du rassemblement, rue d’Aubagne, les secours continuent toujours à déblayer les gravats des deux immeubles qui se sont effondrés – ils sont désormais certains qu’aucune autre personne ne se trouve dans les décombres. Pour les familles des victimes, les voisins du quartier et l’ensemble des Marseillais, c’est le temps du recueillement, en mémoire des morts.

Lors de la marche blanche à Marseille samedi. Photo Patrick Gherdoussi

Rachid est hagard, attrape parfois la banderole, la relâche, fait quelques pas. Il habitait au deuxième étage du numéro 65, l'un des deux immeubles qui s'est effondré. La veille de la catastrophe, deux copains, Cherif et Tahar, avaient dormi chez lui. «Je suis parti chercher des cigarettes, confie-t-il difficilement. Quand je suis revenu, j'ai vu les pierres par terre… Je suis là pour les morts.» Rachid a été relogé, comme d'autres, dans un hôtel du XVe arrondissement. «On va essayer de lui trouver un avocat, parce qu'à part le jeter dans un hôtel, rien n'est fait», explique Malika, une amie. Rachid, c'est un peu la mascotte du quartier, ajoute-t-elle. «Il a le cœur sur la main. Il aurait fait dormir n'importe qui chez lui. C'est aussi quelqu'un qui est épileptique, qui a besoin de soins… C'est le manque de cigarettes qui l'a fait se lever et sortir de chez lui ce matin-là. Depuis, il est vraiment mal. Il m'a dit "mon cœur saigne"…»

Rachid est pris par les épaules par un copain, la marche va démarrer. Les consignes sont claires : les familles devant, tenant la banderole. Les élus ne sont pas les bienvenus. S'ils veulent venir, c'est sans leur écharpe, et derrière – ce que fera Jean-Luc Mélechon, le député du secteur. Pour laisser la rue aux simples Marseillais, venus cet après-midi de toute la ville. «Nous, on habite pas loin, raconte Pierre, 28 ans, qui défile avec Claire. On a des copains qui vivent à Noailles. Ça pleut chez eux. On en parlait, mais ce qui s'est passé, on n'avait pas envie de l'imaginer.» Sa voix tremble : «On est dans la deuxième ville de France, on a un minimum confiance en l'action des élus. Et ils n'ont rien fait. Pour l'instant, on est dans la peine. Après viendra la rage.»

Photo Patrick Gherdoussi

La ville qui s’effondre sous les yeux de la foule

C'est le mot d'ordre de la marche, laisser le temps du deuil. Lorsque les premiers manifestants atteignent les rues de Noailles, le silence se fait. Une minute, suivie d'applaudissements. «Gaudin, démission !» crie un jeune homme, repris par une retraitée devant lui. «Pas maintenant, conseille-t-elle doucement. La colère, c'est mercredi soir.» Un autre rassemblement est en effet prévu dans la ville la semaine prochaine. On l'annonce plus musclé. Au fil du cortège, quelques banderoles laissent tout de même filtrer l'exaspération qui s'est emparée de la ville ces derniers jours. «Gaudin et ses sbires, bons à rien !» ou, plus loin, «Ce n'est pas la pluie», en réponse au premier communiqué de la municipalité, juste après le drame, qui supposait que les fortes précipitations qui ont frappé Marseille ces dernières semaines pourraient avoir entraîné l'effondrement des deux immeubles.

La colère, et l'inquiétude, aussi. Depuis lundi, les Marseillais ont peur de leur ville. La mairie a reçu 130 signalements de bâtiments présentant des risques et 21 arrêtés de péril ont été signés en moins d'une semaine. «On ne peut pas faire un arrêté de péril sur le maire ?» suggère une quinqua dans la manif. La veille, lors d'une conférence de presse, Jean-Claude Gaudin avait encore martelé que ses services faisaient tout ce qu'ils pouvaient pour accompagner les habitants, notamment ceux de Noailles, évacués préventivement des immeubles voisins de la rue d'Aubagne. «Il n'a pas compris, c'est notre confiance qui s'est effondrée lundi», lui répond un homme dans le cortège.

Après l’effondrement d’un balcon pendant la marche. Photo Patrick Gherdoussi pour Libération.

Les premiers manifestants arrivaient déjà sur le Vieux-Port, non loin de la mairie, quand d'autres, encore massés en début de parcours, entendent sonner les sirènes des pompiers. A quelques mètres d'eux, en bordure de Noailles, un balcon vient de s'effondrer au premier étage. Trois personnes sont blessées : une femme et un garçon de 7 ans, tombés du balcon, et une passante qui a reçu un bloc de pierre sur le pied. La foule est comme pétrifiée. C'est la ville qui s'effondre sous ses yeux. Difficile de contenir sa colère, alors que les premiers marcheurs atteignent l'Hôtel de Ville. Sur la façade, les drapeaux sont en berne, tenus par un ruban noir. Des sifflets. «Gaudin assassin !» «Gaudin démission», «Gaudin en prison», scandent des Marseillais. Avant de se disperser dans le calme. Ils étaient plusieurs milliers ce samedi dans les rues.

Photo Patrick Gherdoussi