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Libération
Lutte des places

FO : après le scandale du fichage, celui des notes de frais

Une nouvelle affaire qui fait désordre au sommet de Force Ouvrière: Le Parisien a révélé que les treize membres du bureau confédéral avaient dépensé 388 000 en notes de frais l'an dernier. Soit près de 30000 euros par tête. Et ce alors que les comptes du syndicat sont dans le rouge.
Jean-Claude Mailly et Pascal Pavageau à Paris, en janvier 2014. (Photo Bertrand Guay. AFP)
publié le 12 novembre 2018 à 18h42

Les affaires ne s'arrangent pas pour Force ouvrière. Le syndicat, qui doit élire son nouveau secrétaire confédéral le 21 novembre après la démission de Pascal Pavageau fin octobre, a subi 635 182 euros de pertes en 2017, a révélé le Parisien ce lundi. Et ce, alors que la confédération avait enregistré un excédent de 1,1 million d'euros en 2016, selon ses comptes certifiés… Dans ce contexte de turbulences au sommet de la confédération, le quotidien révèle notamment que certains cadres de FO ont eu recours à des notes de frais dispendieuses au cours des dernières années. L'an passé, les treize membres du bureau confédéral du syndicat ont dépensé, à eux seuls, pour 388 000 euros de frais professionnels en 2017. Soit 29 898 euros en moyenne par tête… Ce qui fait relativement désordre au moment où les comptes de la centrale sont dans le rouge.

Ici, c'est une cadre qui, en 2015, a présenté une ardoise de 60 440 euros pour un an. Dont la moitié dépensée en billets d'avion auprès de la compagnie Air France. Pour certains, c'est la ligne logement qui coûte cher au syndicat : huit membres du bureau qui n'habitent pas Paris, se sont ainsi fait rembourser des loyers, jusqu'à 1 800 euros par mois. D'autres ont été plus dépensiers dans des hôtels, et notamment, précise le Parisien, dans un deux étoiles situé à deux pas du siège de FO, le Transcontinental. En 2015, un secrétaire fédéral y a dépensé 7 570 euros.

Parmi les plus dépensiers : Pascal Pavageau lui-même. Il totaliserait, selon les chiffres donnés par le quotidien, 50 836,05 de frais en 2017, près de 50 000 euros en 2016 et 33 800 euros en 2015. Dont quelque 12 000 euros dépensés en loyer. «En 2014-2015, on avait décidé de louer un studio plutôt que de réserver une chambre d'hôtel, ça revenait moins cher. Donc on louait un studio à 1 000 euros, ce qui correspond aux frais», se défend un proche du secrétaire démissionnaire. «Il faut distinguer les notes de frais de ceux qui sont en campagne des autres, ceux qui restent à leurs bureaux», plaide la source.

100 000 euros de salaire pour Mailly

De son côté, Jean-Claude Mailly, son prédécesseur, a présenté une facture de 34 000 euros en 2017, 32 000 en 2016 et 35 000 euros en 2015. Mais l’ancien secrétaire confédéral, en poste jusqu’en avril, aurait surtout touché un salaire de 100 334 euros bruts pour l’ensemble de 2017, soit plus de 8 360 euros par mois. Mailly a également bénéficié d’une copieuse prime de départ à la retraite de 22 792 euros. Quant aux autres dirigeants, ils ont été rémunérés jusqu’à 86 000 euros annuels, primes comprises. Côté salaires, les autres cadres de FO ont aussi fait gonfler la note. Cinq d’entre eux ont, en 2017, perçu, hors primes, près de 63 000 euros de salaire brut annuel chacun, ce qui donne 80 000 euros environ par an, avec les primes.

«Ça illustre bien qu'il n'y avait aucune règle sur les notes de frais, constate une source proche de Pascal Pavageau. Certains voyageaient avec Air France, alors que pour un trajet équivalent il y avait des compagnies moins chères. D'autres voyageaient systématiquement en première classe lorsqu'ils prenaient le train. Mais là où l'écart se creuse surtout, c'est sur les dépenses quotidiennes. Sur les restaurants, par exemple, il y avait des abus. Quant aux salaires, ils étaient soumis à un accord valant convention collective. Et la règle sur l'ancienneté était très favorable à quelques salariés.» Cette même source assure que Pascal Pavageau, conscient de ces excès, avait prévu un «audit interne» des comptes, avant qu'il ne soit poussé à démissionner pour avoir constitué un fichier répertoriant les cadres du syndicat.

Ce que le démissionnaire n'avait d'ailleurs pas manqué de rappeler dans sa lettre de démission, le 17 octobre. «C'est la première chose que vous avez cherché à m'imposer d'arrêter», écrivait-il alors, laissant entendre que ce contrôle pouvait être source de craintes pour certains. Depuis, cet audit a été remplacé par «état financier» réalisé en interne, sur décision du trésorier Patrick Privat. Un changement de méthode qui n'a pas manqué d'alimenter les nombreuses rumeurs qui courent dans les couloirs de la confédération, notamment sur la répartition des enveloppes financières entre les différentes fédérations et structures du syndicat.

Boule puante

«Ce n'est pas la réalité de la pratique, a réagi un membre de la direction interrogé par l'AFP sur ces notes de frais dispendieuses. «Il y a énormément de choses farfelues», a assuré un autre membre de la direction, avant de se refuser à tout commentaire. Il faut dire qu'après les révélations sur le «fichage» des cadres, cette nouvelle information – boule puante, dirons certains – tombe mal, à quelques jours des élections professionnelles pour les fonctionnaires. Or, «un des grands lieux d'implantation de FO, c'est la fonction publique», note Guy Groux, directeur de recherche associé au Cevipof. Avec des répercussions possibles dans les urnes ? «Sur place, les salariés ne confondent pas forcément leurs délégués syndicaux avec les têtes du syndicat. Il y a une logique de vote de proximité, on vote pour celui qui fait bien son boulot d'élu, observe le sociologue. Si FO sera peut-être en capacité de conserver ses électeurs les plus fidèles, cela risque en revanche de neutraliser sa capacité à élargir son électorat.»

«Pour le syndicalisme, ce n'est jamais bon qu'une organisation s'enfonce dans la crise avec un déballage comme celui auquel on assiste aujourd'hui», a commenté Laurent Berger, le numéro 1 de la CFDT. Tout en assurant que son syndicat a, de son côté, «des comptes certifiés»«mesurables», avec «des règles en termes de note de frais». Même discours de la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, sur Public Sénat ce lundi : «Il est important de ne pas jeter le bébé avec l'eau du bain et confondre tout le mouvement syndical avec quelques dérives éventuelles.» Mais elle s'est aussi montrée plus critique, soulignant qu'une organisation syndicale «comme une entreprise […], comme une collectivité territoriale se doit d'être transparente, équitable». Et d'ajouter : «S'il y a des dérives, il faudra qu'elles soient corrigées.»