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Libération

Force ouvrière fait les frais de ses notes

«Le Parisien» a révélé lundi que certains dirigeants et cadres du syndicat ont dépensé de grosses sommes en hôtels, loyers et avions, tout en touchant d’importants salaires et primes.
Jean-Claude Mailly, alors secrétaire général de FO, et Pascal Pavageau, son successeur, à l’Elysée en mai 2010. (Photo Laurent Troude)
publié le 12 novembre 2018 à 20h56

Les affaires ne s'arrangent pas pour Force ouvrière. Le syndicat, qui doit élire son nouveau secrétaire confédéral le 21 novembre après la démission de Pascal Pavageau fin octobre, a subi 635 182 euros de pertes en 2017, a révélé lundi le Parisien. Et ce, alors que la confédération avait enregistré un excédent de 1,1 million d'euros en 2016, selon ses comptes certifiés… Dans ce contexte de turbulences au sommet, le quotidien révèle notamment que certains cadres de FO ont eu recours à des notes de frais dispendieuses au cours des dernières années. L'an passé, les treize membres du bureau confédéral du syndicat ont dépensé, à eux seuls, pour 388 000 euros de frais professionnels en 2017. Soit 29 898 euros en moyenne par tête… Ce qui fait relativement désordre au moment où les comptes de la centrale sont dans le rouge.

Facture. Ici, une cadre qui, en 2015, a présenté une ardoise de 60 440 euros pour un an, dont la moitié dépensée en billets d'avion Air France. Là, huit membres du bureau qui, n'habitant pas Paris, se sont fait rembourser jusqu'à 1 800 euros de loyers par mois dans la capitale. D'autres ont été plus dépensiers en hôtels, louant notamment des chambres dans un deux-étoiles situé à deux pas du siège de FO, le Transcontinental. En 2015, un secrétaire fédéral y a dépensé 7 570 euros.

Parmi les plus dépensiers : Pascal Pavageau lui-même. Il totaliserait, selon les chiffres donnés par le quotidien, 50 836,05 euros de frais en 2017, contre près de 50 000 en 2016 et 33 800 en 2015. Dont quelque 12 000 euros dépensés en loyer. «En 2014-2015 on avait décidé de louer un studio plutôt que de réserver une chambre d'hôtel. Ça revenait moins cher. Donc, on louait un studio à 1 000 euros, ce qui correspond aux frais, se défend un proche du secrétaire démissionnaire. Il faut distinguer les notes de frais de ceux qui sont en campagne des autres, ceux qui restent à leurs bureaux.»

De son côté, Jean-Claude Mailly, son prédécesseur, a présenté une facture de 34 000 euros en 2017, contre 32 000 pour l’année 2016 et 35 000 euros en 2015. Mais l’ancien secrétaire confédéral, en poste jusqu’en avril dernier, aurait surtout touché un salaire de 100 334 euros bruts pour l’ensemble de 2017, soit plus de 8 360 euros bruts par mois. Mailly a également bénéficié d’une copieuse prime de départ à la retraite de 22 792 euros. Quant aux autres dirigeants, ils ont été rémunérés jusqu’à 86 000 euros annuels, primes comprises. Les autres cadres de FO ont aussi fait gonfler la note : cinq d’entre eux ont, en 2017, perçu, hors primes, près de 63 000 euros de salaire brut annuel, soit environ 80 000 avec les primes.

«Ça illustre bien qu'il n'y avait aucune règle sur les notes de frais, constate une source proche de Pascal Pavageau. Certains voyageaient avec Air France, alors que pour un trajet équivalent il y avait des compagnies moins chères. D'autres voyageaient systématiquement en première classe lorsqu'ils prenaient le train. Mais là où l'écart se creuse surtout, c'est sur les dépenses quotidiennes. Sur les restaurants, par exemple, il y avait des abus. Quant aux salaires, ils étaient soumis à un accord valant convention collective. Et la règle sur l'ancienneté était très favorable à quelques salariés.» Cette même source assure que Pascal Pavageau, conscient de ces excès, avait prévu un «audit interne» des comptes, avant qu'il ne soit poussé à démissionner pour avoir constitué un fichier répertoriant les cadres du syndicat.

«Farfelu». Ce que le démissionnaire n'avait d'ailleurs pas manqué de rappeler dans sa lettre de démission, le 17 octobre. «C'est la première chose que vous avez cherché à m'imposer d'arrêter», écrivait-il, alors, laissant entendre que ce contrôle pouvait être source de craintes pour certains. Depuis, cet audit externe a été remplacé par un «état financier» réalisé en interne, sur décision du trésorier. Un changement qui n'a pas manqué d'alimenter de nombreuses rumeurs au siège de la Confédération, notamment sur la répartition des enveloppes financières entre les différentes fédérations et structures du syndicat.

«Ce n'est pas la réalité de la pratique», a réagi un membre de la direction interrogé par l'AFP à propos de ces notes de frais. «Il y a énormément de choses farfelues», a assuré un autre, avant de se refuser à tout commentaire. Il faut dire qu'après les révélations sur le «fichage» des cadres, cette nouvelle information - boule puante, dirons certains - tombe mal, à quelques jours des élections professionnelles pour les fonctionnaires. Or, «un des grands lieux d'implantation de FO, c'est la fonction publique», note Guy Groux, directeur de recherche associé au Cevipof. Avec des répercussions possibles dans les urnes ? «Sur place, les salariés ne confondent pas forcément leurs délégués syndicaux avec les têtes du syndicat. Il y a une logique de vote de proximité, on vote pour celui qui fait bien son boulot d'élu, observe le sociologue. Si FO peut conserver ses électeurs les plus fidèles, cela risque en revanche de neutraliser sa capacité à élargir son électorat.»

«Pour le syndicalisme c'est jamais bon qu'une organisation syndicale s'enfonce dans la crise avec un déballage comme celui auquel on assiste aujourd'hui», a commenté Laurent Berger, le numéro 1 de la CFDT. Tout en assurant que son syndicat a, de son côté, «des comptes certifiés», «mesurables», avec «des règles en termes de note de frais».

Même discours du côté de la ministre du Travail Muriel Pénicaud : «Il est important de ne pas jeter le bébé avec l'eau du bain et confondre tout le mouvement syndical avec quelques dérives éventuelles.»