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Au rapport

A la suite des attentats de 2015, des atteintes psychiques massives

Pour la première fois, Santé Publique France publie une série d'études sur les suites traumatiques des attentats de Paris.
Devant le Bataclan, le 13 novembre 2017, deux ans après les attentats. (Stéphane de Sakutin - AFP)
publié le 13 novembre 2018 à 6h19

C’était une urgence : au-delà des blessures physiques, immédiates et bien comptabilisables, il y avait nécessité à mesurer l’impact général des attentats de 2015 en France en matière de santé publique. Car concernant les troubles psychiques post-attentat, tout ou presque est à découvrir. D’où le grand intérêt de ce numéro spécial du BEH (bulletin épidémiologique hebdomadaire) de l’agence santé Publique France, rendu public ce matin. Six études sur le sujet s’y côtoient.

D'abord, ils apportent une confirmation des atteintes psychologiques, qui sont massives, étendues, et peuvent durer dans le temps. L'enquête épidémiologique Impacts le montre clairement : celle-ci s'était donnée comme objectif d'évaluer «l'impact psychotraumatique de ces attentats chez les personnes exposées et chez celles impliquées dans la prise en charge des victimes et le rétablissement de l'ordre public». Elle s'est déroulée en deux temps, 6 et 18 mois après les événements. Deux groupes ont été étudiés. Le premier comprenait «les personnes issues de la population civile ayant été exposées aux attentats», le deuxième des intervenants impliqués dans la réponse aux attentats. Pour ce faire, des psychologues se sont entretenus avec 190 civils et 232 intervenants (forces de l'ordre et de secours, secours médico-psychologiques, pompiers et personnels associatifs).

Chiffres impressionnants : «Parmi la population civile, 18 % des personnes ont présenté un état post-traumatique, 20 % ont eu des troubles dépressifs ou anxieux. Et 25 % ont consulté un médecin pour un problème de santé somatique qu'elles considéraient comme lié aux événements.» Or face à ces conséquences multiples, seulement un peu plus de la moitié des personnes exposées a pu bénéficier d'une prise en charge médico-psychologique ou d'un soutien psychologique. «Parmi les intervenants, 3 % ont présenté un état post-traumatique et 14 % au moins ont eu un trouble anxieux.» Ce qui n'est pas négligeable. Et là aussi, la moitié d'entre eux a reçu un soutien psychologique suite aux attentats.

Plus concret encore, on a mesuré l'impact sur les consommations d'alcool, de tabac et de cannabis et sur l'automédication. Là aussi, le résultat est spectaculaire : «Parmi les intervenants, 10 % ont augmenté leur consommation d'alcool, de tabac ou de cannabis.» Cette proportion variant selon le degré d'exposition aux attentats. «En population civile, 22 % des personnes ont augmenté leur consommation d'alcool, de tabac ou de cannabis. La proportion variant logiquement selon le degré d'exposition : 29 % chez les personnes directement menacées, 19 % chez les témoins sur les lieux, 8 % chez les témoins à proximité et 36 % chez les endeuillés/proches exclusifs.»

Dans une tout autre optique, des chercheurs ont ausculté les conséquences de la forte couverture médiatique des attentats de novembre 2015 à Paris (Bataclan, terrasses des cafés et Stade de France). Cette étude a cherché à examiner «la relation entre l'exposition médiatique liée aux événements (temps passé à regarder les événements à la télévision ou sur Internet sur une période de trois jours suivant les attentats) et la déclaration de symptômes de stress post-traumatique». En juin 2016, 1 760 personnes ont répondu à l'enquête par le biais d'un questionnaire internet. Le lien est clair. Et sans surprise : «Les résultats ont montré une association réelle entre le temps passé à visualiser des images liées aux attaques et la présence de symptômes de stress post-traumatique, après ajustement sur les caractéristiques sociodémographiques, l'exposition directe aux événements et des facteurs de vulnérabilité individuelle (antécédents d'événements traumatisants, de troubles psychologiques et d'événements de vie négatifs).»

«Le soutien social est l’un des principaux facteurs protecteurs»

Au final, que déduire de ce numéro spécial ? Un rappel : «Le vécu de tels événements extrêmes est associé à des troubles psychiques et physiques qui peuvent persister durablement», insiste dans un éditorial Lise Eilin Stene du Norwegian Centre for Violence and Traumatic Stress Studies (NKVTS), une des chercheuses pionnières en ce domaine. Elle note encore : «Il est essentiel de bien comprendre les interactions entre les réactions de l'individu et celles de son entourage. En effet, le soutien social est l'un des principaux facteurs protecteurs contre la survenue d'un état de stress post-traumatique (ESPT) et d'autres troubles psychologiques après le vécu d'un événement potentiellement traumatique.» Et d'ajouter : «Il faut également progresser dans la connaissance des conséquences des attentats terroristes sur la population générale, car ils affectent non seulement les personnes directement exposées, mais aussi leur entourage et, plus généralement, l'ensemble de la société. Ceci a été mis en évidence dans les premières semaines suivant les attentats du 22 juillet 2011 en Norvège, avec une hausse significative de plusieurs pathologies comme les infarctus du myocarde, les suicides et les hospitalisations pour psychose dans la population norvégienne.»

En France, toutefois, rien de similaire. Aucune augmentation statistiquement significative des hospitalisations pour maladies cardiovasculaires n’a été observée dans la population générale suite aux attentats de 2015 et 2016.