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La SNCF et Blablacar font voiture commune

Le transporteur ferroviaire revend au leader européen du covoiturage sa filiale de transport par autocar lourdement déficitaire, Ouibus, et rentre à son capital. Une alliance qui va permettre à la start-up de mobilité partagée de proposer son offre sur oui.SNCF, la plateforme de réservation de l'entreprise publique.
A Bercy, au lancement des Ouibus en 2015. (Photo Kenzo Tribouillard. AFP)
publié le 13 novembre 2018 à 10h35
(mis à jour le 13 novembre 2018 à 16h34)

C'est une opération de sauvetage doublée d'une alliance stratégique que viennent d'annoncer conjointement la SNCF et le leader européen du covoiturage Blablacar qui compte parmi les rares «licornes» (ces ex-jeunes pousses valorisées à plus d'un milliard d'euros) tricolores. A l'issue d'un conseil d'administration réuni lundi après-midi, la branche SNCF mobilités a annoncé qu'elle revendait à 100% Ouibus (ex-IDbus), sa filiale de transport par autocar longue distance, à Blablacar pour une somme non communiquée. Elle en devient parallèlement actionnaire très minoritaire en participant aux côtés d'autres investisseurs à une conséquente levée de fonds de 101 millions d'euros. De quoi obtenir au passage un siège d'observateur au conseil d'administration de ce site d'autopartage devenu en quelques années une alternative très bon marché au TGV pour les moins argentés des voyageurs…

Une alliance qui tombe sous le sens selon Blablacar. «Enormément de nos covoitureurs font aussi du bus et vice versa. On se rend compte qu'il y a une complémentarité très, très forte», a indiqué son cofondateur et directeur général Nicolas Brusson, qui explique que la société va pouvoir ainsi étoffer sa palette d'offre de transports «à une échelle européenne, voire mondiale». Au passage, Ouibus qui est lourdement déficitaire et pèse sur les comptes de l'entreprise ferroviaire – son déficit a atteint 35 millions d'euros en 2017 pour un chiffre d'affaires de 50 millions et les perspectives ne sont guère plus optimistes pour 2018 – annonce un plan de sauvegarde de l'emploi portant sur 100 personnes, soit la moitié de ses salariés. En échange de la reprise de ce transporteur low cost par autocar, Blablacar va surtout pouvoir toucher les millions d'utilisateurs réguliers de la plateforme de réservation Ouisncf, qui compte parmi les principaux sites de e-commerce et carrefours d'audience de la toile française. Une première dans la mesure où jusqu'ici la SNCF se gardait bien de faire la promotion d'un service considéré comme une alternative au rail. A partir du printemps prochain, les utilisateurs du site, en plus des offres ferroviaires et par autocar, pourront directement y réserver des trajets Blablacar. Une petite révolution.

«Multimodalité»

Pour la SNCF, qui a longtemps pu apparaître comme un concurrent frontal pour Blablacar, cette opération constitue «un changement de pied» comme le reconnaît Rachel Picard, la directrice générale de cette activité de vente en ligne. Certes, la SNCF persiste et signe dans une stratégie de «multimodalité» déjà initiée il y a plusieurs années mais elle n'entend plus la mener seule mais de concert avec son nouveau partenaire quatre roues Blablacar. Ces dernières années et afin de ne mettre toutes ses billes dans le seul panier ferroviaire, elle avait multiplié les rachats ou création de filiales afin de combiner le transport par rail avec le covoiturage courte distance (IDVroom), la location de voitures entre particuliers (Ouicar) tout en investissant dans le transport par autocars libéralisé par la loi Macron en 2015, qui venait concurrencer directement le transport ferroviaire. Une stratégie dite de «point à point» qui n'allait cependant pas jusqu'à proposer sur son propre site des offres alternatives au transport longue distance par le rail. On ne se tire pas une balle dans le pied.

Avec cette alliance qui permet à la SNCF de se débarasser à bon compte de Ouibus, cette stratégie de diversification dans les nouvelles formes de mobilités se confirme et s'amplifie mais sans plus avoir à en supporter les risques financiers. Il faut dire que la réforme ferroviaire mise en place par l'Etat, qui reprend à son compte une partie de la dette de SNCF réseau, la contraint à un rétablissement rapide de ses comptes dans l'optique de l'ouverture prochaine à la concurrence imposée par l'Union européenne à l'horizon 2021. Affichant son ambition de faire de sa plateforme de réservation oui.SNCF un «véritable assistant de mobilité», Rachel Picard, la directrice générale de Voyages SNCF, affirme que ce partenariat entre deux entreprises françaises va lui permettre de devenir un opérateur de transport global en proposant plus de 30 000 combinaisons de voyages différentes à des publics pour lesquels le voyage en TGV est devenu un luxe qu'ils ne peuvent pas se permettre. Le concurrent désigné pour la SNCF et Blablacar a un nom: c'est la voiture individuelle ou «l'autosolisme», un mode de transport dépassé à les entendre.

L’exemple russe

Du côté de Blablacar, créé en 2006 mais toujours pas rentable et qui a déjà changé maintes fois de stratégie, la reprise d'une activité lourdement déficitaire comme Ouibus ne semble pas être considéré comme un problème. Blablacar met en avant sa notoriété avec une part de marché de 40% du transport par autocar en France à ce jour et les 12 millions de passagers déjà transportés par cet opérateur dont le modèle économique est en pleine transformation avec un recours accru à la sous-traitance et à des franchisés. Blablacar qui mise plus que jamais sur l'international pour se développer fait le pari que les 65 millions de membres de Blablacar dans les 22 pays représentent un vivier de nouveaux clients pour sa nouvelle activité d'opérateur de transport en commun longue distance. Et de citer l'exemple de la Russie où la start up propose déjà cette combinaison de covoiturage et de transport par autocar. Reste à savoir si ce nouveau modèle sera réellement gagnant pour les deux parties et si les usagers y retrouveront leur latin dans ce mélange des genres.