Tribune. Les élections européennes de 2019 se dérouleront à un moment décisif de l'histoire de l'Europe, celui d'une Europe secouée par les montées du populisme et des nationalismes, celui d'une Europe en proie au doute sur sa capacité à se forger un destin commun et solidaire. C'est dans un tel contexte que nos concitoyens vont s'exprimer et traduire dans leur vote la conception de l'Europe qu'ils soutiennent ou qu'ils appellent de leurs vœux, voire sa remise en cause.
Face à ces défis, le président de la République a exprimé la volonté de rassembler les forces du progressisme et d’en regrouper les élus au sein d’un nouveau groupe parlementaire.
Non seulement cette évidence n’est pas aussi simple mais elle comporte un risque sérieux de dissolution de la voix de la France au sein du prochain Parlement européen à plusieurs titres.
Déficit de sens commun
Le progressisme est une idée floue et indéfinie partagée certes par de nombreuses forces politiques en Europe, du Nord au Sud de l’Europe, mais sans revêtir pour autant un sens commun. Au titre du progressisme, nous appelons de nos vœux une régulation et une taxation des plateformes numériques, alors qu’un progressiste allemand, scandinave ou néerlandais s’y opposera de toutes ses forces au motif que la liberté d’expression est une valeur bien supérieure à la nécessité de protection des citoyens de positions dominantes. De nombreux progressistes des pays du Nord de l’Europe s’opposent violemment à l’énergie nucléaire, alors que la France doit parler d’une voix forte sans être affaiblie pour défendre son modèle de transition énergétique qui va prendre des dizaines d’années. Alors que la France partage la conviction que la culture est bien plus qu’une valeur économique, une valeur du vivre ensemble, une valeur de rapprochement des peuples, nombreux sont les progressistes que considèrent la culture purement comme un bien de consommation.
Face à ce déficit de sens commun, le progressisme ne peut être perçu que comme un outil au service d’une volonté hégémonique, avec l’intention masquée de faire exploser le modèle consensuel sur lequel repose le législatif européen depuis des lustres autour des deux groupes parlementaires, les conservateurs et les socialistes et démocrates, au sein desquels l’Allemagne exerce une influence considérable et des pays proches de la France comme l’Espagne, le Portugal sont bien représentés.
Le progressisme est un concept qui a vocation à proposer à l’échelle européenne une extension de l’avènement de La République en marche mais sans prolongement réel. Depuis ses origines, le Parlement européen a fabriqué une mécanique fondée sur la capacité de compromis de ces deux groupes parlementaires. C’est en leur sein que s’opposent ou coexistent des élus que l’on pourrait qualifier de progressistes et des élus que l’on pourrait qualifier de conservateurs.
Dynamitage des forces traditionnelles
Bien qu’une montée des extrêmes soit attendue lors des prochaines élections, il est hautement probable que ces deux groupes constitueront toujours le principal socle des futures majorités de la prochaine législature.
C’est certainement en leur sein que les pays du premier cercle, à l’exception probable de l’Italie, vont se retrouver en nombre et que la représentation allemande, même diminuée par rapport à la précédente législature, exercera une influence dominante.
Face à cela, le troisième groupe parlementaire, l’Alliance des démocrates et libéraux européens, restera une force d’appoint sans colonne vertébrale par l’association informelle et de circonstance de députés européens sans ligne, sans cohérence et sans discipline.
La montée des extrêmes va singulièrement amoindrir la capacité de la France à exercer une influence au sein du Parlement européen. La prochaine législature risque d’être encore bien plus difficile pour la représentation française par l’accumulation de trois facteurs politiques majeurs inédits. Le dynamitage des forces traditionnelles conservatrices et sociales-démocrates en France qui s’est concrétisé par l’élection d’Emmanuel Macron devrait se traduire par une très faible représentation parlementaire des députés LR et du PS. L’attraction de La France insoumise pour de nombreux électeurs devrait renforcer la représentation parlementaire française au sein d’un groupe parlementaire de la gauche radicale dans une démarche contestatrice mais sans influence sur la production des règlements et directives européennes. Le maintien du Front national à un haut niveau d’intention de vote devrait conduire à figer un autre tiers des députés européens français dans un rôle de porte-voix protestataire présentant notamment le Premier ministre hongrois Viktor Orbán le 11 septembre au sein de l’hémicycle comme le guide inspirateur de l’Europe.
Dans ce contexte, la stratégie menée par le président de la République, si elle était confirmée, conduirait à noyer la vingtaine d’élus attendus de La République en marche dans un groupe parlementaire minoritaire, sans présence significative des députés européens des pays traditionnellement proches historiquement de la France dans la construction européenne et des Allemands. Elle mettrait à mal la possibilité de converger sur des sujets majeurs pour la France comme l’énergie et le climat, la régulation versus le libéralisme échevelé, les avancées sociales, les enjeux du numérique et de la régulation, les enjeux migratoires, la nature et le contenu des traités commerciaux.
Crépuscule annoncé
Le dialogue franco-allemand n’est pas aussi fluide que certains veulent bien le considérer. Ce dialogue est pourtant au cœur de la capacité de l’Europe à se doter d’un nouveau supplément d’âme, à proposer un nouveau «deal européen» qui impulse une nouvelle dynamique susceptible d’apporter une réponse d’ensemble à cette chronologie d’événements contraires que l’Europe subit avec le Brexit, avec le populisme ravageur qui fait son nid dans de nombreux pays de l’Europe, avec le non-respect de l’état de droit qui touche certains pays d’Europe centrale.
Il n’est pas envisageable que la représentation démocratique pro-européenne de la France se retrouve à l’écart des décisions du parlement pour des mauvaises raisons de politique intérieure. Il est de la responsabilité historique du président de la République de jouer pleinement son rôle de dirigeant de l’Europe. Il est en mesure de le jouer dans cette période si critique, avec le crépuscule annoncé d’une grande dirigeante Angela Merkel.
Mais il doit veiller à ce que la voix de la France au Parlement européen soit forte dans l’enceinte des structures parlementaires qui pèsent, au sein desquelles nos députés pourront dans leur travail quotidien confronter leurs vues avec leurs homologues allemands plutôt que d’être une force virtuelle au sein d’un groupe composite, fragmenté et faible.
J’invite donc le Président de la République à prendre la mesure de cette responsabilité pour l’avenir de l’Europe et pour que la voix de la France porte, en affichant clairement la volonté de s’ancrer dans un des deux groupes parlementaires à vocation majoritaire. Cette clarification n’est peut-être pas facile, car elle revient à prendre parti, à faire un choix, mais elle est indispensable pour proposer un cadre clair et rendre la voix de la France plus forte.