Le problème des lois de circonstance, c’est qu’elles s’appliquent, même si les circonstances changent. Ainsi des lois antiterroristes. Au moment du vote, le gouvernement jure, croix de bois, croix de fer, qu’il s’agit de mesures exceptionnelles, justifiées par un contexte exceptionnel. Les défenseurs des libertés publiques protestent ? Ils sont renvoyés à l’argument habituel : voulez-vous ou non lutter avec efficacité contre le terrorisme ? Ils ont beau expliquer que le code pénal - et les techniques qui permettent sa mise en œuvre - entre dans un arsenal permanent qu’un autre gouvernement pourra utiliser à sa guise, on leur oppose, le plus souvent de bonne foi, l’urgence de l’heure, le danger - tout à fait réel - qui vient de surgir, les demandes pressantes des forces policières qui réclament des moyens légaux supplémentaires pour localiser, surveiller, démanteler et traduire en justice les réseaux terroristes. Seulement voilà : les lois restent et, surtout, elles sont d’application générale. Dès lors que la puissance publique désigne un autre ennemi, on lui applique les mêmes rigueurs. Ce risque bien connu vient de trouver son illustration à Bure, où des militants antinucléaire mènent une action parfois répréhensible - dégradation de locaux, manifestations musclées, etc. - mais qu’on peut difficilement assimiler, de près ou de loin, à du terrorisme. Pour protéger ce site contesté, le gouvernement déploie des moyens éléphantesques, use de procédures hautement intrusives, multiplie les procédures draconiennes. Paranoïa nucléaire ? Répression par inertie et vitesse acquise ? Phobie anti-écologiste ? On ne sait. Mais quand on se dote d’un marteau-pilon, on en vient inéluctablement, par simple accoutumance, à écraser des mouches. Et à écorner les libertés publiques.
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