Sur le rond-point qui mène au dépôt de carburant de Vern-sur-Seiche (Ille-et-Vilaine), à quelques kilomètres de Rennes, le givre a blanchi l'herbe verte et, parmi les groupes de «gilets jaunes» qui se réchauffent autour d'un feu de palettes, il est difficile de distinguer les manifestants des chauffeurs routiers bloqués là depuis dimanche soir et qui se disent tous ou presque «solidaires» du mouvement. De chaque côté de l'axe principal, plus de deux cents poids lourds sont immobilisés et seules les voitures particulières ont droit de passage. «On bloque les camions parce qu'à l'intérieur, il y a de la marchandise et la marchandise, c'est des taxes, alors on bloque les taxes», explique un gilet jaune aux yeux rougis par le manque de sommeil. Dans son dos sont inscrits : «stop aux taxes racket» et «Macron dégage». «On peut rester là encore une heure ou deux, comme on peut rester au moins jusqu'à demain», poursuit-il. La détermination comme le ressentiment des quelques dizaines de manifestants qui se relaient sur le barrage n'ont en tout cas pas fléchi.
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«On ne profitera jamais de rien»
«Je suis venu ce matin pour les soutenir, raconte Christine, 57 ans, agent de service en milieu hospitalier aujourd'hui à la retraite. J'ai travaillé des années, le matin, l'après-midi, les week-ends pour 1 104 euros de retraite. On a payé une maison durant toute une vie avec mon mari et on ne sait pas si on va pouvoir la garder. On ne profitera jamais de rien.» A côté d'elle, son fils de 27 ans, au chômage après avoir travaillé onze ans «dans le commerce puis comme agent de sécurité à 9,44 euros de l'heure», laisse également échapper son dépit : «Les conditions de travail n'ont pas arrêté de se durcir et je me suis fait jeter comme une merde, lâche-t-il. Cela ne donne plus envie de bosser.» «C'est tout pour les riches et rien pour nous», renchérit un grand gaillard dont la journée aurait dû être occupée à faire des livraisons dans la région rennaise et qui prend son mal en patience. «Il y a eu 260 000 millionnaires en plus depuis que Macron est au pouvoir mais le nombre de pauvres en plus, ça, ils ne le disent pas.»
«On va devoir augmenter la baguette»
Pendant que les manifestants et les chauffeurs fraternisent et échangent sur leurs conditions de travail, les «contrôles techniques» et leurs soixante points de contrôles supplémentaires, la limitation de vitesse à 80 km/h qui oblige les 44 tonnes à «freiner comme des malades» dans les descentes et le «président des riches», une jeune femme, employée d'un Lidl voisin, est venue participer au ravitaillement, un carton plein de pain brioché et de jus de fruits dans les bras. «J'ai payé ça avec mon argent, pour les soutenir», dit-elle simplement, avant de repartir à son travail. Christelle, 40 ans, boulangère à Rennes, a de son côté fourni, depuis lundi matin, baguettes et viennoiseries aux manifestants, faisant plusieurs allers-retours entre Vern-sur-Seiche et son magasin. «On va devoir augmenter de 5 centimes la baguette en décembre, explique-t-elle. Pour compenser l'augmentation du carburant qui pèse sur les livraisons, mais aussi celles du sel, du beurre, de tout ce dont on a besoin !»