C'est peu dire que le choc est rude au Japon. On imaginait depuis quelques années déjà voir un jour Carlos Ghosn partir, mais on le voyait quitter la scène avec panache. C'est la pire sortie qui l'attend désormais : le limogeage manu militari de son poste de président par un conseil d'administration de Nissan qui sera convoqué spécialement jeudi pour le virer. A Tokyo, des journalistes parlent de «coup d'Etat» contre celui qui, selon les mots mêmes de l'actuel patron de Nissan, Hiroto Saikawa, avait fini au fil des ans par concentrer trop de pouvoir entre ses seules mains.
D'après une enquête interne, Carlos Ghosn avait commis plusieurs «fautes graves [fausse déclaration fiscale, abus de biens, ndlr] qui justifient pleinement sa révocation», a asséné Hiroto Saikawa, lors d'une conférence de presse convoquée en pleine nuit dans la banlieue de Tokyo, au siège de Nissan. Depuis plusieurs heures déjà, les médias, site internet du quotidien Asahi Shimbun en tête, annonçaient que celui qui était considéré au Japon comme un patron-star insubmersible allait être arrêté. De fait, Carlos Ghosn a été cueilli lundi à son arrivée à l'aéroport de Tokyo, interrogé puis interpellé. Le dirigeant aurait, selon la presse japonaise, minimisé ses revenus de 38 millions d'euros sur cinq ans.
Insubmersible
Quand les Japonais ont appris la nouvelle, beaucoup ont été abasourdis. Car Carlos Ghosn, dont la télévision a rediffusé en boucle les principaux moments de gloire depuis qu’il a pris la tête de Nissan en 1999, était ici un dirigeant charismatique, perçu comme le sauveur du constructeur automobile de Yokohama. Certes, ses grandes années étaient derrière lui, mais il restait celui avec qui beaucoup de Japonais voulaient faire un selfie. Bien sûr, il avait déjà passé la main au patron opérationnel de Nissan, ne conservant que la présidence du conseil d’administration, mais son influence restait grande. D’autant qu’il occupe le même poste chez Mitsubishi Motors et bien sûr chez Renault.
Reste que, depuis quelques mois, plusieurs articles de presse se montraient plutôt critiques, citant des sources anonymes au sein de Nissan qui voyaient en lui un patron avide d’argent et à la solde du gouvernement français. Et d’autres rappelaient qu’il avait mis sur la paille plusieurs petits sous-traitants de Nissan en revoyant toutes ses relations avec une myriade de fournisseurs.
Méfiantes
Au-delà des conséquences sur l’image de l’entreprise Nissan et sur ses relations avec ses partenaires Renault et Mitsubishi, l’arrestation de Carlos Ghosn et le déballage à venir sur ses malversations risquent de rendre les entreprises japonaises encore plus méfiantes qu’elles ne l’étaient déjà vis-à-vis des dirigeants étrangers. Que ce soit en tant qu’administrateurs ou membres de directions exécutives, ils ne sont déjà pas nombreux et il est fort probable que cela ne s’améliore pas. La question de la gouvernance a déjà été évoquée par Hiroto Saikawa, qui a souligné qu’il n’était peut-être pas sain que Carlos Ghosn ait si longtemps été simultanément à la tête de Nissan et de Renault. Après de nombreux autres scandales, l’affaire Carlos Ghosn illustre la fâcheuse tendance du monde industriel japonais à faire la une des journaux pour de mauvaises raisons.