Une caméra a filmé la scène. Lundi, le jet privé de Nissan est intercepté alors qu’il vient juste de se poser sur le tarmac de l’aéroport international Haneda de Tokyo. Carlos Ghosn est attendu à la descente pour être directement conduit dans les bureaux du procureur public de la capitale japonaise. Avec l’un de ses bras droits à Nissan, le directeur délégué Greg Kelly, le patron flamboyant du premier constructeur automobile mondial est soupçonné d’abus de bien social, de malversations financières et de fraude fiscale. Une arrestation surprise qui signe la chute vertigineuse du dirigeant charismatique de 64 ans et star populaire au Japon.
La presse nipponne se faisait lundi l’écho des accusations. Une filiale de Nissan aurait financé à hauteur de 17,8 millions de dollars (15,6 millions d’euros) l’achat de luxueuses résidences dans quatre villes : Amsterdam, Paris, Rio de Janeiro et Beyrouth. Carlos Ghosn se serait rendu gratuitement à sa guise dans ces propriétés sans signaler cet avantage parmi ses revenus. Le Franco-brésilien-libanais est également soupçonné d’avoir minoré ses déclarations fiscales d’environ 5 milliards de yens (39 millions d’euros) depuis 2011. Il aurait gagné sur cinq ans près de 10 milliards de yens quand les rapports de Nissan mentionnent des sommes deux fois moindre.
Inutiles
C'est un lanceur d'alerte qui est à l'origine de l'audit interne de plusieurs mois transmis à la justice. Une question demeure toutefois. Comment Carlos Ghosn et Greg Kelly auraient-ils réussi à fausser les chiffres de leur indemnisation pendant cinq longues années ? Selon le quotidien économique japonais Nikkei, le fait que ces sommes n'étaient pas mentionnées aurait déjà été évoqué en interne. Mais les deux concernés auraient affirmé que de telles révélations étaient inutiles et ont poursuivi la pratique.
Reste que la violation de la loi de finances peut entraîner une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à dix ans et une amende pouvant aller jusqu’à 10 millions de yens – les deux peuvent être cumulés. Une entreprise peut également être condamnée à une amende pouvant atteindre 700 millions de yens (5,5 millions d’euros).
Lundi soir, les procureurs de Tokyo n'avaient pas précisé si Carlos Ghosn et Greg Kelly avaient reconnu les faits qui leur étaient reprochés. La disgrâce du sauveur de Nissan est néanmoins patente. «Je ressens une profonde déception, une frustration, un désespoir, une indignation et de la colère», a déclaré Hiroto Saikawa, promu directeur général de l'entreprise début 2017 par son mentor Carlos Ghosn, lors d'une conférence de presse inédite lundi soir au siège à Yokohama.
Exception
Ces dernières années, la rémunération de Carlos Ghosn faisait de plus en plus débat chez Nissan. Il aurait touché un total de 8,7 milliards de yens depuis 2009. Et, pendant sept années consécutives, il se serait hissé parmi les dix cadres les mieux payés du Japon. Il aurait même empoché plus d’un million de yens en 2014, une exception dans une entreprise japonaise. Les actionnaires se plaignaient également qu’il passait moins de temps chez Nissan après être devenu président de Renault.
Le contrôle de Carlos Ghosn sur Nissan a commencé en 1999 lorsque Renault l'a envoyé redresser l'entreprise qu'il venait de racheter. Surnommé le «cost killer», le «tueur de coûts», il a audacieusement réduit les dépenses et amélioré considérablement la rentabilité de l'entreprise, jusqu'à diriger la triple alliance Renault, Nissan et Mitsubishi, qui forment à eux trois le plus grand constructeur automobile du monde, avec plus de 470 000 employés dans près de 200 pays.
«Coup d’Etat»
Mais son règne de dix-neuf ans sur Nissan suscitait des critiques. Tout puissant, Carlos Ghosn cumulait les titres de PDG de Renault et président de l'alliance Renault-Nissan-Mitsubishi. «C'est un problème que tant d'autorité ait été accordée à une seule personne», soulignait le président exécutif de Nissan, Hiroto Saikawa. Selon certains analystes, l'affaire pourrait cacher un «coup d'Etat» du groupe japonais à l'encontre de son sauveur afin d'éviter une alliance encore plus poussée avec le constructeur français. Une version balayée d'un revers de main par Hiroto Saikawa.
Mardi soir, au lendemain de son arrestation à la sortie de son jet, Carlos Ghosn était toujours incarcéré dans un centre de détention de Tokyo. Interrogé depuis lundi, il pourrait rester jusqu’à vingt-trois jours en garde à vue.