Kevin avait six ans quand le cauchemar a commencé. Après un entraînement de football, sous les douches. Le petit garçon était le dernier dans les vestiaires. «C'est là que se sont produits les premiers attouchements. Il a voulu m'essuyer le corps… Et il m'a dit de ne rien dire à mes parents, que c'était entre nous quoi, que c'était un secret.» «Lui», c'est l'entraîneur des gamins du village. Le meilleur ami du père de Kevin aussi. Un pédophile, qui fera du jeune footballeur sa principale victime pendant plus de dix ans. «C'était répétitif, toujours le même processus. Après les douches, il m'attendait, des fois il me demandait de le regarder prendre une douche, de lui uriner dessus, des fois il fallait que je le caresse aussi. Il me faisait des fellations dans sa voiture, des attouchements, et après il me ramenait à la maison. Il passait serrer la main à mon père, il prenait une baguette et il rentrait chez lui voir sa femme et ses enfants.» Kevin se fera violer plusieurs fois. Pétrifié dans son calvaire jusqu'à ses seize ans et demi, il finira par tout avouer à ses parents, après avoir vu «son petit frère sur les genoux de son agresseur». Pour que tout cesse enfin.
Mathilde a, elle, retrouvé la mémoire trente ans après les faits. Elle n'avait jusqu'alors que «des images heureuses de son enfance». Et puis elle est «sortie d'amnésie» et s'est souvenue de ces viols, répétés, commis par son père entre ses 5 et 10 ans. Une horreur vécue également à la même période par son frère cadet. «Notre père avait une agence d'architecture et nous demandait de faire des cabanes, de jolies maisons pour que nous puissions nous amuser dedans. Mais une fois qu'on était pris dans la maison en carton, il nous sodomisait. Pour que personne ne nous entende, mon père rabattait ce système de trappe qu'il avait confectionné. J'entends encore mon petit frère m'appeler pour que je lui vienne en aide… Je pense que je souffrais plus de le voir souffrir. On oublie presque sa douleur quand on voit quelqu'un de torturé.» Le petit frère de Mathilde s'est suicidé à l'âge de 24 ans. Lui n'avait jamais perdu la mémoire. Mathilde, elle tente aujourd'hui de survivre. «J'ai encore peur de mon père le soir, alors qu'il est mort depuis treize ans.»
Kevin et Mathilde brisent le silence face caméra. Ils ne sont pas seuls : Andréa, Laurent, Ingrid, David et Corinne prennent eux aussi la parole dans Enfance abusée, documentaire réalisé par Eric Guéret et diffusé ce mardi soir dans l'émission Infrarouge de France 2. Pendant une heure dix, ces adultes racontent la pédophilie sans ellipses ni euphémismes. Les viols, les agressions, les attouchements, les chatouilles commis par un frère, un père, une tante, un prêtre, un ami de la famille. Huit victimes, huit adultes en reconstruction, huit cris d'alarme face au silence familial et sociétal.
Enfance abusée d'Eric Guéret, diffusé sur France 2 à 23h10.