Quarante-cinq minutes de retard : pour une réception censée marquer la considération présidentielle envers les élus, cela commençait mal. Un peu plus de 2 000 maires se sont pressés mercredi soir dans la salle des fêtes de l'Elysée à l'invitation d'Emmanuel Macron, soucieux de réparer son image auprès d'élus défiants. Retardé par un «bon débat» en privé avec les dirigeants de l'Association des maires de France (AMF), le chef de l'Etat est sorti applaudi de son face-à-face avec les élus. Multipliant les sourires et les égards, et prêt à se laisser «irriguer par l'expérience des territoires».
Au court propos présidentiel a succédé une longue séance de questions-réponses avec les maires. Installer en région la future Agence de la cohésion des territoires ? «Bonne idée», a souri le Président. Retoucher certaines intercommunalités, écrasantes pour les petits maires ? «On peut améliorer des choses, il y a des "intercos" trop grandes, qui ont été un peu contraintes.» Un problème d'eau dans une petite commune ? «La ministre se rapprochera de vous si vous voulez bien lui donner votre dossier.»
Interpellé par un maire sur les attaques visant les élus, le chef de l'Etat a promis «l'intransigeance» aux coupables : «Le jour où on ne défend plus les élus, c'est l'anarchie, la démagogie et la fin de la République». Pour ses invités et pour lui-même, il a revendiqué la qualité de «vrais populistes, car nous sommes avec le peuple tous les jours». Quant à la «verticalité» parfois reprochée à la méthode macronienne : «Il faut définir beaucoup plus ensemble les solutions», a convenu l'hôte. Qui a promis, alors qu'il ne se rendra pas cette année au congrès des maires, d'honorer le rendez-vous l'année prochaine.
«Libertés locales»
«Ce que je vais vous dire aujourd'hui n'a pas vocation à vous satisfaire automatiquement, […] mais cela a vocation en tout cas à être appliqué», avait asséné le chef de l'Etat en novembre 2017, devant l'assemblée des maires. Tournures martiales qu'il a, un an plus tard, évacuées de son propos.
Dans une phase critique de son quinquennat, Emmanuel Macron a voulu se concilier les élus de terrain. Désormais, «il faut un changement de méthode entre nous, c'est ce que j'ai voulu initier ce soir et ce que nous poursuivrons dans les prochains mois», a expliqué à ses invités un Macron souriant et volubile. «Ceux qui pensent que j'ai peur d'une salle, ils ne me connaissent pas, mais deux heures de débat libre valent mieux que vingt minutes d'expression dans une salle où vous ne pouvez pas répondre», a-t-il conclu, promettant de renouveler l'expérience «dans chaque région». En attendant, C'est le Premier ministre, Edouard Philippe, qui s'exprimera jeudi devant l'assemblée générale de l'AMF.
Il y avait urgence, pour le chef de l’Etat, à donner corps à la promesse d’un «nouveau départ» dans les relations entre Etat et collectivités. De la suppression de la taxe d’habitation aux coupes dans les emplois aidés, des taxes sur l’essence au coût des aides sociales pour les départements, des 80 km/h à l’effort budgétaire réclamé aux collectivités, les sujets de querelles se sont accumulés depuis le début du quinquennat. Ces procès ont nourri l’image d’un macronisme urbain et technocratique, coupé des réalités de la «France périphérique» et prêt à sacrifier jusqu’aux dernières «libertés locales» – un procès dans lequel l’AMF s’est montrée particulièrement allante.
De son côté, le gouvernement s’est efforcé de contourner l’AMF, en s’appuyant sur de plus petites organisations d’élus. Il a également tenté d’enfoncer un coin entre les maires et la direction de l’AMF, en dénonçant les arrière-pensées partisanes prêtées à François Baroin : le maire LR de Troyes, ex-ministre de Nicolas Sarkozy, est soupçonné d’avoir en tête la prochaine élection présidentielle. Mais l’exécutif n’en a pas moins promis un changement de méthode cet automne, reconnaissant devoir resserrer ses liens avec les territoires.
«Fascination morbide»
La réception élyséenne, mercredi soir, n'aura pas tout soldé de ce passif. Mais en prolongeant les échanges jusqu'à une heure avancée de la soirée, le chef de l'Etat a marqué sa considération envers les élus présents. Sans annonces nouvelles : la réflexion est encore en cours sur le principal dossier intéressant les collectivités, une vaste réforme de la fiscalité locale qui doit notamment compenser, pour les maires, la future disparition de la taxe d'habitation, et dont le détail sera connu durant le premier semestre 2019. «Je n'ai pas de tabous» sur une éventuelle refonte des règles de la dotation globale de fonctionnement versée aux collectivités, a-t-il cependant fait savoir.
Dans une allusion au mouvement des «gilets jaunes», enfin, Emmanuel Macron a répété «entendre les colères». Mais «je ne peux pas entendre en stéréo ceux qui voudraient moins de pollution pour leurs enfants, mais sans rien changer et en continuant à se déplacer comme avant», a insisté le chef de l'Etat. Critiquant «intellectuels» et journalistes, soupçonnés de «ne regarder que la colère avec une forme de fascination morbide». Mais prenant aussi sa «part de responsabilité : je n'ai pas changé les choses assez vite, je n'ai pas fait comprendre assez clairement où je voulais emmener les gens», a admis le Président. Occasion d'un double message aux élus et à ses détracteurs : «Vous n'avez pas le monopole des engueulades et des doutes. Mais je pense qu'on est fait du même bois : moi, je ne lâche rien.»