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Atome

Nucléaire : Macron annonce des fermetures de réacteurs sans brusquer EDF

Le chef de l'Etat a promis que quatorze tranches fermeront d'ici 2035, dont «quatre à six d'ici 2030». Mais en dehors de Fessenheim, aucun arrêt de réacteur n'interviendra sous ce quinquennat et l'essentiel de l'effort doit se faire après 2025. L'électricien ne s'en sort pas si mal.
En octobre 2017 à Cruas-Meysse (Ardèche). (Photo Philippe Desmazes. AFP)
publié le 27 novembre 2018 à 14h20

En annonçant ses arbitrages sur la trajectoire énergétique de la France dans le cadre de son intervention ce matin à l'Elysée, Emmanuel Macron a tranché le nœud gordien de la réduction de la part de l'atome dans la production d'électricité. Mais sans faire trop de mal à EDF : sur les 58 réacteurs qui composent actuellement le parc français, l'électricien devra fermer «quatorze réacteurs nucléaires d'ici 2035», soit douze réacteurs supplémentaires après l'arrêt déjà annoncé des deux tranches de la centrale de Fessenheim (Haut-Rhin) que le chef de l'Etat a confirmé pour «l'été 2020». Dans le cadre de la programmation pluriannuelle de l'énergie qui couvre les périodes 2018-2023 et 2024-2028, EDF ne voulait fermer a priori aucun réacteur avant 2029. Le PDG du groupe, Jean-Bernard Lévy, a donc perdu cette bataille et devra suivre le cap fixé par l'Etat actionnaire qui détient 84% d'EDF.

Mais le camp de l'atome a sauvé l'essentiel : à savoir le maintien d'un «socle nucléaire» très important, qui fera que la France restera encore longtemps l'un des pays les plus nucléarisés au monde. Emmanuel Macron a certes confirmé l'objectif initial de la loi sur la transition énergétique, visant à réduire à 50% la part de l'atome dans la production d'électricité (contre un peu plus de 70% actuellement), qui a déjà été reporté de dix ans : «Nous avons décidé de maintenir ce cap mais en repoussant l'échéance à 2035», a-t-il rappelé. Mais à y regarder de plus près, le nombre et le rythme des fermetures des réacteurs nucléaires ne traduisent pas une forte inflexion : sur les douze réacteurs de 900 MW qui devront s'arrêter en plus des deux unités de Fessenheim, seuls «quatre à six réacteurs» devront cesser toute production «d'ici 2030», a précisé le Président.

Et si l'on en croit les arbitrages plus précis transmis par l'Elysée à l'AFP, le gouvernement ne prévoit en fait que deux fermetures supplémentaires de réacteurs «en 2027-2028», et deux autres pourraient intervenir plus tôt, en 2025-2026, mais «sous conditions» : «Si la sécurité d'approvisionnement est assurée» et «si nos voisins européens accélèrent leur transition énergétique», notamment en réduisant le poids du charbon et en développant les renouvelables. Resterait donc au moins deux réacteurs à fermer entre 2028 et 2030 pour arriver aux quatre à six annoncés…

Tricastin, Bugey et Cruas en tête de liste

Emmanuel Macron n'a pas nommé les centrales visées par ces fermetures : c'est EDF qui devra en fixer la liste précise. Mais il n'y aura «aucune fermeture complète des sites», a assuré le chef de l'Etat pour tenter de rassurer les salariés et les élus des établissements nucléaires menacés. Il ne faut pas être grand clerc pour deviner la liste des réacteurs susceptibles d'être arrêtés : ce sont les plus anciens, construits à la fin des années 70 et qui atteindront les quarante d'âge en 2028, qu'EDF espérait prolonger encore de dix ans après aval de l'Autorité de sûreté nucléaire. Ces réacteurs vieillissants se trouvent notamment au Tricastin (Drôme et Vaucluse), à Bugey (Ain) et Cruas (Ardèche)…

Si l'Elysée souligne qu'Emmanuel Macron est «le premier Président à fixer dans les faits une véritable trajectoire de fermeture des réacteurs nucléaires», l'essentiel de la tâche reviendra en fait à son successeur à l'Elysée ou à lui-même s'il est réélu en 2022. Aucune fermeture ne devrait en effet intervenir sous ce quinquennat en dehors de Fessenheim, dont l'arrêt interviendra en 2020, quand l'EPR de Flamanville entrera enfin en service avec huit ans de retard et une facture multipliée par trois, à 11 milliards d'euros. Au sujet de l'EPR justement, Macron a botté en touche. Si «l'EPR doit faire partie du bouquet énergétique de demain», le Président n'a pas donné son feu vert à la construction d'un nouvel exemplaire de ce gros réacteur de 1600 MW dont la construction a viré au cauchemar pour EDF sur le site de Flamanville. Le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, et son homologue à la Transition écologique et solidaire, François de Rugy, avaient déjà prévenu qu'il n'y aurait pas de nouvel EPR tant que celui de Flamanville ne serait pas entré en service. Or le chantier de Flamanville est actuellement à l'arrêt après la découverte d'un nouveau problème de soudures sur les circuits de refroidissement des réacteurs. Il ne pourra démarrer au mieux qu'au deuxième semestre 2020, quand les travaux de réparation exigés par le gendarme du nucléaire auront été faits.

«Effet de série»

Dans ces conditions, le chef de l'Etat a mis l'électricien devant ses responsabilités : «Je demande à EDF de travailler à l'élaboration d'un programme de "nouveau nucléaire" en prenant des engagements fermes sur le prix, pour qu'ils soient plus compétitifs. Tout doit être prêt en 2021 pour que le choix qui sera proposé aux Français puisse être un choix transparent et éclairé.» En clair, non seulement l'EPR devra être sûr, mais il devra réduire considérablement ses coûts de construction pour proposer une électricité à un prix au moins équivalent aux énergies renouvelables. Une gageure quand on sait que les tarifs négociés pour l'EPR de Hinkley Point outre-Manche flirtent avec les 100 euros du mégawattheure, quand le prix de l'éolien terrestre est passé sous la barre des 65 euros lors des derniers appels d'offres. Mais EDF, qui espérait initialement décrocher un feu vert pour deux à six nouveaux EPR, mise sur «l'effet de série» pour arriver à baisser les coûts.

En choisissant d'annoncer quatre à six fermetures d'ici 2030, Emmanuel Macron, s'approche du scénario qui lui était proposé par son ministre de la Transition écologique, François de Rugy (six fermetures), envers et contre le scénario ultra-favorable à EDF (zéro fermeture dans ce délai) prôné par le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire. Un message appuyé à l'électorat écologiste et aux fans de Nicolas Hulot avant l'échéance des élections européennes qui inquiète beaucoup La République en marche. Il a d'ailleurs annoncé des objectifs très ambitieux pour développer les ENR qui vont bénéficier d'un soutien de «7 à 8 milliards d'euros par an», au lieu de 5 milliards : la puissance éolienne installée devra «tripler» d'ici 2030 et celle du photovoltaïque devra être «multipliée par cinq» dans les mêmes délais. Sans quoi l'objectif de réduction de l'atome à 50% du mix électrique sera intenable, même si Macron a assuré qu'il fallait «cesser de lier l'essor des renouvelables à la sortie du nucléaire», comme le font les antinucléaires. Au bout du compte, le Président a encore fait du «en même temps» : «Réduire la part du nucléaire, ce n'est pas renoncer au nucléaire», a-t-il prévenu. EDF peut respirer, la France n'en a pas fini avec l'atome.