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Libération

Sur les carburants, Macron renfloue la taxe flottante

Introduite par Jospin puis coulée par Raffarin, cette taxe permettant d’amortir les prix en cas de hausse du brut pourrait faire son retour.
publié le 27 novembre 2018 à 20h36

Après la «TIPP flottante» de Lionel Jospin, la «TICPE flottante» version Macron ? C'est en tout cas ce que le président de la République a laissé entendre mardi matin en proposant d'«adapter toute nouvelle hausse de la taxe sur les carburants à l'évolution des marchés internationaux du pétrole». A l'Elysée, on appelle ça une «TICPE intelligente»… Le chef de l'Etat a dit ainsi vouloir «rendre plus intelligente» cette taxe intérieure de consommation des produits énergétique (TICPE) qui doit augmenter chaque 1er janvier d'ici 2022 : après 3,2 centimes de plus sur l'essence et 6,3 centimes sur le gazole entre 2017 et 2018, cette taxe doit encore grimper de 9,5 centimes par litre d'essence et de 18,8 centimes par litre de gazole d'ici 2022. Macron a proposé d'organiser «tous les trimestres un rendez-vous pour atténuer les effets pour nos concitoyens […] pour que si l'envolée des cours devait se reproduire, nous ne serions pas mis dans la même situation».

Idée. Comment ? «En cas de nouveau pic des prix, le gouvernement pourra décider de suspendre ou réduire la hausse de fiscalité intervenue en début d'année, pour ne pas aggraver inutilement la hausse déjà forte du prix à la pompe», a expliqué Matignon, pour qui «le calendrier exact de la hausse» sera «ajustable». «Il peut être décidé en cours d'année de mettre la hausse entre parenthèses pendant un ou deux trimestres, si le prix du baril culmine», ajoute-t-on dans l'entourage du Premier ministre. Cette «modulation» était notamment réclamée par François Bayrou. La semaine dernière, le président du Modem avait regretté le manque de «progressivité» de «la trajectoire définie […] sous l'impulsion de Nicolas Hulot». Cette idée a aussi été formulée par les sénateurs socialistes pas plus tard que la veille du discours de Macron. Lundi, le sénateur PS de l'Aude, Roland Courteau, a défendu un amendement au projet de loi de finances 2019 pour «rendre aux consommateurs, sous forme d'une baisse de [la] TICPE, le surplus de TVA perçu» par l'Etat lorsque le cours du baril augmente. Proposition retoquée par la majorité sénatoriale de droite et par… le gouvernement. L'exécutif avait également repoussé, lors des débats budgétaires à l'Assemblée, tous les autres mécanismes proposés par ses propres députés. Le LREM Matthieu Orphelin souhaitait par exemple accorder aux ménages modestes des crédits d'impôts «versés uniquement les années où le prix du baril est très élevé».

Brent. En 2001, confronté lui aussi à une flambée des cours du pétrole - le baril de Brent était sous les 40 dollars alors qu'il a dépassé cette année les 80 dollars entre septembre et octobre - Lionel Jospin avait institué un mécanisme «flottant» sur cette même taxe, appelée à l'époque «TIPP» : lorsque le prix du brut grimpait, la taxe baissait, lorsque le cours reculait, elle retrouvait son niveau antérieur. Résultat : les prix à la pompe étaient stabilisés. Mais ce mécanisme, abandonné par le gouvernement Raffarin et jamais réhabilité par la suite - Jean-Marc Ayrault l'avait envisagé à l'été 2012 avant de baisser tout simplement les taxes sur les carburants - avait été très critiqué par la Cour des comptes : selon elle, l'Etat s'était privé en deux ans de 2,7 milliards d'euros de ressources fiscales pour 2 centimes par litre.

En cas de «suspension» des hausses de taxes carburants, le gouvernement va-t-il priver au passage l'Etat de précieux milliards - trois à quatre en 2019 - et prendre le risque de creuser un déficit public qui (ré)approche dangereusement les 3 % du PIB ? Tout dépend du seuil jugé assez haut pour être qualifié de «pic». Plus de 80 dollars le baril de Brent sur les marchés, comme début octobre ? Plus de 60 dollars, niveau auquel le prix du brut est aujourd'hui redescendu ? Plus de 100 dollars comme en 2013-2014 ? Le gouvernement a bouclé son budget 2019 avec un prix du Brent à 73 dollars. Si l'exécutif choisit ce seuil pour bloquer les hausses de taxe et que le prix du pétrole va au-delà, il se privera, certes, de ressources supplémentaires (en 2018, la TICPE a par exemple rapporté 300 millions d'euros de plus qu'attendu), mais se rattrapera sans problème sur un surplus de TVA…