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Libération
Reportage

Girardin à la Réunion pour éteindre l’éruption sociale des «gilets jaunes»

Arrivée mercredi sur l’île, dont l’économie tourne au ralenti depuis douze jours, la ministre des Outre-Mer joue la carte de la discussion avec des manifestants loin d’être convaincus.
La ministre des Outre-Mer, Annick Girardin, à son arrivée à Sainte-Marie (la Réunion) mercredi. (PHOTO RICHARD BOUHET. AFP)
par Laurent BOUVIER, Correspondance à la Réunion
publié le 28 novembre 2018 à 20h56

Le comité d'accueil était impressionnant. Après plusieurs jours de violences mélangeant malaise social ancien et revendications fiscales récentes, près de 2 000 personnes, installées autour du barrage du rond-point de l'aéroport Roland-Garros, sont venues attendre Annick Girardin à sa descente d'avion, mercredi à la Réunion. Il est 10 heures quand la ministre des Outre-Mer sort au pas de charge sous les huées. Les «gilets jaunes» sont venus à moto, à vélo et à pied, une marée qui l'accueille au son de «Macron démission» avant d'entonner une première Marseillaise.

Les pancartes relaient les revendications de ces douze derniers jours : «Stop à la vie chère», «ras-le-bol de la hausse des prix»… Annick Girardin se faufile, accompagnée d'un service d'ordre à cran. La ministre tombe la veste blanche, grimpe sur une glissière de sécurité et prend le micro : «Vous avez raison de crier votre colère, puisque je suis ici pour l'entendre.» Face à Girardin, l'une des premières intervenantes résume, en créole, le besoin de parler des manifestants : «I fo nou koz, nou exprime anou.» Soit : «Il faut que nous parlions, que nous nous exprimons.»

Pertes

S'ensuit un long défilé au micro : un salarié du secteur privé qui voit son pouvoir d'achat «s'effondrer», un chef d'entreprise «étouffé par les charges», des mères de famille qui ne comprennent pas «pourquoi le chariot est si cher», une femme qui se désole de «tous ces jeunes aux pieds de nos immeubles sans travail». Les applaudissements accompagnent un flot de paroles parfois difficilement audibles, pour cause de sono grésillante et de motos en surrégime.

Sur l'île, la grogne contre l'augmentation du prix du carburant a libéré la colère et les revendications sur la vie chère et les difficultés sociales. Depuis douze jours, l'économie tourne au ralenti. Selon un premier bilan chiffré de la chambre de commerce et d'industrie, les pertes s'élèvent à plus de 21 millions d'euros pour l'économie locale. «Nos entreprises ne sont plus approvisionnées et ne peuvent plus ni produire ni livrer, que ce soit des produits ou des services», explique le Collectif des entrepreneurs réunionnais, composé de 48 fédérations, métiers et syndicats interprofessionnels. Il demande des mesures d'urgence afin de pouvoir rouvrir leurs entreprises. Au total, 1 500 conteneurs sont bloqués sur les quais du Port-Est, par lequel transitent plus de 90 % des marchandises de l'île. Ecoles et administrations sont toujours fermées.

Percussions

Sur le rond-point de l'aéroport, un des gilets jaunes synthétise le sentiment général en réclamant «plus d'égalité» entre l'île et la métropole, évoquant notamment le salaire médian. A la Réunion, il est de 1 150 euros, contre 1 650 en métropole. «Je connais ces chiffres, répond la ministre. Et je sais que vous êtes au dernier cran de la ceinture. Je suis là pour apporter, avec vous, des solutions. Mais vous devez aussi permettre à l'économie de repartir, laisser les enfants retourner à l'école.» On n'entendra pas la fin de son intervention, étouffée sous les cris et les percussions. Arrivée au son de la Marseillaise, elle repart au rythme du maloya.

Lorsqu'Annick Girardin débarque à la préfecture, c'est à nouveau pour dialoguer, deux heures durant, avec une délégation de gilets jaunes. L'exécutif met en scène l'empathie, la bienveillance. «On s'est dit les choses comme on les sentait», explique la ministre en sortant. La semaine dernière, le préfet de la Réunion a annoncé le gel de la hausse de la taxe sur les carburants pour trois ans sur l'île. Cette fois, Girardin promet des annonces sur le volet social et la lutte contre la pauvreté avant des mesures sur l'économie et le pouvoir d'achat. En début de soirée, elle déroule un gros catalogue de mesures sociales, mélangeant dispositifs nationaux et annonces contre la pauvreté. Le vrai suspense concerne les éventuelles mesures supplémentaires sur l'économie et le pouvoir d'achat attendues ce jeudi. «Je vais demander en contrepartie qu'on puisse lever les barrages», prévient la ministre. En vain.

En fin d'après-midi mercredi, le Centre régional des routes faisait toujours état de plus d'une trentaine de barrages sur l'île. «J'ai une date d'aller mais je n'ai pas de date de retour, je prendrai le temps qu'il faut», avait fait valoir Girardin en quittant Paris mardi. Vu l'ampleur de la crise, le séjour ministériel pourrait durer un moment.