Faire le portrait de Jean-Michel Wilmotte pose deux problèmes. Le premier consiste à répondre à cette question mystère : pourquoi les architectes n'aiment-ils pas Wilmotte ? Le deuxième… on y viendra plus tard. D'abord, ses confrères. Comme l'écrit Franck Gintrand dans la newsletter Chroniques d'architecture, «ils le méprisent et s'agacent que le grand public, mais aussi un cercle plus restreint, censé connaître leur art, puissent y voir un architecte et, pire encore, un architecte de talent». Pas faux. On a entendu un jour le patron d'une grande institution culturelle demander : «Mais de quel bâtiment de Wilmotte se souvient-on ?» L'intéressé connaît ces vilenies. «Quand ça ne marchait pas, ils étaient très gentils avec moi !» siffle-t-il en réponse. A l'intention des jaloux, il ajoute : «Je suis académicien des Beaux-Arts, ce n'est pas de ma faute.»
Est-ce vraiment l'habit vert qui attise les critiques ? Ne serait-ce pas plutôt le fait que sa boutique ait tourné, en 2017 par exemple, avec cinq hôtels, quatre programmes de logements, deux centres de congrès, un réaménagement d'espace public, un immeuble administratif et un grand magasin ? Aujourd'hui, combien de projets a-t-il en cours ? Vingt, trente ? «Peut-être plus…» dit-il en souriant, tandis que l'on arpente les locaux biscornus de son agence parisienne près de Bastille.
A 70 ans, marié, quatre enfants dont deux sont architectes, Wilmotte est depuis longtemps une «marque», et il n'a «rien contre» ce phénomène. La Station F de Xavier Niel, plus grand incubateur d'Europe, c'est Wilmotte. Les restaurants de Guy Savoy partout dans le monde, c'est lui. Le siège social de LVMH, encore lui. Idem pour la boutique du bijoutier Chaumet à Osaka, le Collège des Bernardins à Paris, le chai du château Cos d'Estournel, la cuverie Laurent-Perrier. On s'arrête là parce que c'est sans fin. Surdoué du réseau, il continue, «heureusement», dit-il en évoquant son «entreprise» de plus de 200 collaborateurs, à dessiner de spectaculaires demeures pour de riches particuliers, à voir dans la rubrique «Maisons privées» de son site.
Son tableau de chasse est d'autant plus irritant pour une concurrence envieuse que Wilmotte, longtemps, n'a pas été architecte. Quand on l'interroge sur ses études, ce fils de pharmaciens né à Soissons (Aisne) dit que «c'est très compliqué», et élude. En 1969, il passe par l'école d'architecture Saint-Luc, à Tournai (Belgique) qui, de nos jours, récupère 90 % d'élèves français. Puis il arrive à Paris, s'inscrit à l'école Camondo, référence en architecture d'intérieur et design, et obtient là le seul diplôme de sa biographie.
Le voilà qui démarre comme décorateur mais pas pour n'importe qui. En 1982, il aménage la chambre et la salle de bains des appartements privés de Mitterrand à l'Elysée. Bon début. En 1993, il obtient «une reconnaissance de qualification» pour devenir architecte et insiste sur le fait que ce n'était pas une simple formalité : «Vous passez devant treize de vos pairs, et ils ne sont pas spécialement tendres.» Ils ne le sont toujours pas. Surnage l'idée que Wilmotte n'est pas un «vrai» architecte. Il est regardé par une certaine aristocratie du métier comme un noble ayant acheté son titre.
Son imposante monographie (2,9 kg) déborde de clients prestigieux, d'institutions culturelles, de sièges de banques, de musées, de boutiques de luxe mais José Alvarez, l'auteur, n'a censuré aucune des cafétérias Casino ou des fast-foods Quick de l'architecte. Y a-t-il un style Wilmotte ? Il y a un chic, une forme d'élégance diront les plus aimables, un bon goût ostentatoire diront les autres. L'homme est, en tout cas, un fin connaisseur de l'art de bâtir, comme en témoigne son Dictionnaire amoureux de l'architecture (Plon). Le praticien sait en outre modérer les tendances clinquantes de ses clients. Pour l'église orthodoxe russe de Paris, qui faillit provoquer une crise diplomatique entre la France et la Russie, Wilmotte affirme avoir calmé le jeu. Certes, il y a toujours quatre coupoles, «mais c'est de l'or mat. Je vous jure que les Russes voulaient que ça brille plus».
Il sait convaincre le client en commençant par l'entendre. «J'écoute la personne de façon très pointue mais en cinq minutes, elle a tout dit. Dans les dix premières phrases, vous avez les réponses à toutes les questions.»
On lui parle de la récente rénovation de l'hôtel Lutetia, à Paris, dont il est «très content». Pour qu'un projet fonctionne, dit-il, «il faut que le lieu soit bien, que le sujet soit bien, que les gens soient sympathiques». Et tout d'un coup, sans penser à mal, il demande : «Et vous Libé, à Balard, vous n'êtes pas bien ?»
Le deuxième problème, le voilà. Jean-Michel Wilmotte est l'auteur des immeubles du campus Altice, abritant à Balard, au fond du XVe arrondissement, Libération et d'autres médias. En 2015, le titre a quitté le garage de la rue Béranger qu'il occupait depuis trente ans, à République. Devant le peu d'enthousiasme qu'on montre au sujet du nouveau domicile du journal, l'architecte rappelle que, quand il a bâti ces édifices, «il n'y avait pas de preneur». Ils ont ensuite été acquis par Patrick Drahi, tout comme Libération et les locaux de la rue Béranger d'ailleurs. «Le preneur aménage comme il veut. Ou comme il peut…» explique-t-il. L'architecte travaille ce qui lui revient en propre, «la lumière, les transparences» : «Faire entrer la lumière dans un bâtiment, vous savez, c'est très difficile…»
Faire le portrait de son logeur aussi. Encore plus quand, degré supplémentaire dans la complexité, c'est ce même Jean-Michel Wilmotte qui va transformer les anciens locaux de Libé en hôtel. On ne le découvre pas, l'information a été publiée il y a quelques semaines. On découvre en revanche que Wilmotte voit cette transformation comme un sauvetage. «Heureusement que je fais ce projet parce que quelqu'un d'autre n'aurait pas eu le même respect que moi pour Libération», affirme-t-il. Planait sur le lieu le risque de devenir «un appart-hôtel de chaîne». Bien des cinémas de Paris sont devenus des Franprix, alors… Rue Béranger, Wilmotte assure qu'il va restaurer «l'esprit des lieux». Il parle de titres sur les murs des chambres, de couvertures de hors-série reproduites sur les plafonds. «Ce sera un hôtel où on pourra travailler, écrire.» A l'intention de la rédaction de Libération, il promet : «Vous y viendrez d'une autre façon mais je vais vous faire revenir là-bas.» Ses bonnes intentions sont sincères. Mais la réticence des journalistes de Libération à fréquenter leur propre mémorial l'est tout autant. Comment lui dire ?
2 avril 1948 Naissance à Soissons (Aisne).
1975 Création de son bureau d'études.
1987 Musée des Beaux-Arts (Nîmes).
1994 Mobilier urbain des Champs-Elysées.
2005 Création de la fondation Wilmotte et du prix W.