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Libération
Témoignage

Gabriel, 21 ans «On se serait cru dans un champ de bataille»

publié le 29 novembre 2018 à 20h46

Elle est en colère. Et elle s'excuse, plusieurs fois : «Désolé, vous prenez pour les autres.» Son fils, Gabriel, 21 ans, a eu la main en partie arrachée par une grenade samedi soir, au bas des Champs-Elysées. Il a subi deux opérations depuis. Il a perdu deux doigts dans l'explosion et n'est pas sûr de garder les autres. «La vascularisation a été coupée. Il va falloir attendre dix jours pour savoir si les doigts vont résister.»

Il est aussi blessé au visage, et sur toute la jambe droite.«Il y a des impacts, du plastique collé sur son visage. Il doit se faire opérer aussi. Pareil pour la jambe.» Elle est en colère aussi parce que son fils, victime, est rendu responsable. «Alors qu'il a subi. Moi je n'ai pas Facebook. J'ai regardé sur le Facebook d'un de mes fils. J'ai lu tous ces gens qui disent : "Bien fait pour sa tronche, il n'avait qu'à pas être là." C'est tellement de haine. Ils sont en train de le détruire une deuxième fois.» Ils vivent dans la Sarthe. Elle travaille dans une grande entreprise publique, «pas en CDI». Son fils est apprenti, ex-compagnon du devoir. Samedi, ils sont venus à Paris à cinq, avec ses deux autres enfants, et son gendre.

«Le samedi matin, on a parlé au petit-déjeuner de pourquoi on venait. Pour la démocratie, pour représenter ces gens qui ne sont pas représentés, les gens invisibles. En famille. Ce n'est pas pour le carburant que j'y suis allée. Même si je connais quelqu'un qui a dû utiliser ses congés parce qu'il n'avait pas de quoi mettre de l'essence pour aller travailler. On y est allé pour les hôpitaux qui ferment, les écoles qui ferment. En allant à Paris, on s'est marré. On a chanté dans la voiture. On n'y est pas allé en disant qu'on allait casser un machin. Mes enfants, je les ai élevés pour qu'ils défendent des droits, leurs voisins, des valeurs. Tout ça pour ça.» Ils n'avaient pas prévu d'être sur les Champs-Elysées. Ils auraient voulu faire Bastille-République. «On s'est retrouvé dans une souricière. On allait quelque part, on nous disait : "Pas par là, vous allez vous faire gazer." […] On se serait cru sur un champ de bataille. Il pleuvait des grenades. Au moment de l'explosion, Gabriel a pris le plus gros de la déflagration, mon autre fils a été blessé.»

Avant notre échange, des témoins nous avaient raconté la scène : des cris, un homme qui en soutenait un autre avec une main en lambeaux. «C'était mon autre fils qui soutenait son petit frère. J'ai vu mon gamin avec la main arrachée.» Elle ne sait pas quel type de grenade est responsable de la blessure. «Je n'en sais rien. Je ne connais pas tout ça. Mais c'est quoi l'utilité d'aller bombarder les gens ? De les effrayer ? De les casser ? Il n'y a pas d'autres moyens que de briser les gens ?»