La gronde des «gilets jaunes» ou le boomerang du dégagisme pour les députés La République en marche (LREM) ? Elus à la faveur d'un grand chamboule-tout balayant les partis traditionnels en 2017, ces novices promettaient alors une profonde oxygénation de la vie politique et une Assemblée nationale plus représentative du pays. Se revendiquant de la société civile, les néo-élus se croyaient plus en phase avec la réalité des Français que les «professionnels» de la politique. Et ce, même si les cadres, les professions intellectuelles et les chefs d'entreprise surdiplômés étaient surreprésentés dans le contingent macroniste.
Décrochage
Avec la contestation sur la hausse des prix du carburant à laquelle s'agrège un tas de griefs, c'est pourtant le grand retour des critiques qui visaient leurs prédécesseurs. Certes, ce sont les plus radicaux des gilets jaunes qui vont jusqu'à réclamer la démission d'Emmanuel Macron ou la dissolution de l'Assemblée nationale - idée sur laquelle n'a pas manqué de surfer Marine Le Pen, y voyant «la seule solution» pour sortir de la crise.
Reste que les députés LREM, qu'ils se soient rendus sur les barrages ou qu'ils aient tenu des réunions avec les gilets jaunes dans leur permanence, n'échappent pas à leur tour au procès en déconnexion et en technocratisme. «Il y a un paradoxe à essuyer ces reproches aujourd'hui. On est un peu pris à notre propre piège», admet l'un d'eux. «En 2017, on a bénéficié d'une forme de dégagisme soft, ouvert, bienveillant, un mouvement qui contournait les partis existants, se souvient le député de Paris Hugues Renson. Force est de constater que cette promesse de rapprocher les citoyens et leurs élus n'est pas pleinement remplie.» Un constat qui fait écho à l'aveu d'Emmanuel Macron quand il a reconnu qu'il n'avait «pas vraiment réussi à réconcilier le peuple français avec ses dirigeants».
Dans la majorité, on se rassure en soulignant que cette défiance est d'abord un legs du passé, qu'il s'agit d'un malaise profond impossible à dissiper en dix-huit mois. «Ce qui est mis en cause, c'est une montée de l'inefficacité de l'action politique depuis des décennies, dont nous avons hérité», notait la semaine dernière le patron du groupe LREM, Gilles Le Gendre. «On nous met dans le même panier que nos prédécesseurs. Pourtant on agit différemment mais on n'a pas encore eu le temps de montrer nos résultats», temporise Cédric Roussel, élu des Alpes-Maritimes.
Mais d'autres admettent que si le décrochage est ancien, le pouvoir actuel - ce «nouveau monde» autoproclamé - n'a pas davantage la manière d'y répondre. «Que les résultats ne soient pas encore là, c'est normal, mais si l'on donne en plus l'impression d'un pouvoir distant, froid, voire méprisant, on renforce la colère», confie un ex-socialiste devenu LREM. «On paie le passé, mais on l'amplifie aussi», embraye un de ses collègues, frappé d'avoir croisé «certains électeurs de Macron» sur les barrages.
Si elle avait fait du renouvellement un argument de campagne, la majorité prend conscience depuis le début de la crise des gilets jaunes de son inexpérience par gros temps et de son manque d'ancrage local. «Cette incapacité à anticiper et à capter ce qui se passe vient justement du fait qu'on est nouveaux, justifie un autre député. Avec un parti comme le nôtre, créé in vitro, il faudrait quadriller le territoire mais on a du mal à mailler. On organise notre affaiblissement.»
«Au feu»
Trouvant la critique injuste, ils sont nombreux à rappeler qu'ils alertent depuis des mois sur les mécontentements qui montent dans leur circonscription : sentiment d'abandon des territoires ruraux, attentes sur le pouvoir d'achat, etc. Sans trouver une oreille attentive au sommet de l'Etat. «On a fait passer des messages. On en a un peu ras-le-bol des technos du gouvernement qui pensent réduction des déficits et pas des inégalités. C'est nous qui allons au feu pendant que les mecs sont planqués dans les cabinets», s'agace un marcheur de la première heure. Un autre abonde : «On fait de la politique à l'ancienne mais sans avoir le métier ni la roublardise des anciens. Donc, en plus, on le fait mal.» Mettant en garde contre le risque de devenir comme les autres, cert ains appellent à «reprendre le pas sur l'administration et la haute fonction publique». «C'est pour cela que nous nous sommes engagés en politique, rappelle Jean-Baptiste Moreau, élu dans la Creuse. On doit arrêter avec le langage techno et les éléments de langage. Il faut reparler avec nos tripes.»