Entre 100 et 150 lycées ont été partiellement ou totalement bloqués ce lundi sur le territoire français, plusieurs milliers d'élèves se mobilisant contre la réforme du bac, Parcoursup ou encore le service national universel. Même s'il ne s'agissait pas forcément de s'identifier au mouvement des «gilets jaunes», le léger parfum d'insurrection dans lequel baigne la France depuis samedi a pu aider à motiver les troupes. «Il y a beaucoup de lycées qui ne se mobilisent jamais en temps normal, c'est un signe très positif» se félicite auprès de Libération Louis Boyard, le président de l'Union nationale lycéenne (UNL), syndicat qui a appelé à cette mobilisation. Un nouvel appel est lancé pour vendredi. «Nous avons écarté les blocages tous les jours, car cela ferait s'essouffler le mouvement trop vite.»
Il est à ce stade difficile d’établir une cartographie de la situation. Cette dernière est par exemple tendue dans les académies de Toulouse, Marseille et Créteil, selon le ministère de l’Education nationale. A des degrés divers : lycées complètement bloqués, barrages filtrants… Par endroits, comme à Montpellier, ce sont les proviseurs eux-mêmes qui, par précaution, ont fermé leur établissement, de peur de débordements.
A la mi-journée, le ministère ne déplorait pas de «violence en interne» au sein des établissements. Mais les événements ont pris une tournure spectaculaire devant certains lycées, comme Jean-Pierre-Timbaud à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), avec des poubelles et au moins un véhicule incendiés, ainsi que des affrontements entre jeunes et policiers, selon des images de France Bleu Paris. Sept personnes ont été interpellées, d'après une source policière à l'AFP.
Mobilisation devant le lycée Timbaud à #Aubervilliers dans le quartier des Quatre Chemins. Des jeunes ont mis le feu à des poubelles au cri de "Macron, démission!" pic.twitter.com/TNc3sZVj3M
— France Bleu Paris (@francebleuparis) December 3, 2018
Violente répression policière dans plusieurs villes
A Orléans, les forces de l'ordre ont bouclé l'accès au centre-ville, où se trouvent trois gros lycées : Pothier, Jean-Zay et Benjamin-Franklin. Les établissements ont été fermés par précaution par les proviseurs, inquiets des débordements. Libération a assisté à des scènes rarement vues à Orléans : des poubelles en feu, ainsi que des courses-poursuites entre manifestants et forces de l'ordre.
#lyceens Totale confusion dans les rues d'Orléans. Centre ville bloqué, gaz lacrymo, arrestations en nombre, voitures et poubelles brûlées.
— MouMou (@CallGate74) December 3, 2018
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Après qu’une pluie violente a dispersé la plupart des lycéens, les derniers manifestants ont été évacués avec force lacrymos.
#Orléans Les derniers #lyceens sont dispersés à grand renfort de lacrymo. pic.twitter.com/Sb9I9FmfxA
— MouMou (@CallGate74) December 3, 2018
A l’inverse, à Paris et Lyon, le mouvement semble avoir pris moins d’ampleur, selon le ministère. Dans la capitale, le gouvernement a évoqué une dizaine de lycées bloqués, ce qui est assez peu par rapport aux mobilisations passées. Parmi ces établissements figure le lycée Charlemagne, en plein cœur de Paris. La décision du blocage a été prise samedi lors d’une AG par une cinquantaine d’élèves. Ils sont arrivés à 6 heures ce lundi matin pour mettre le barrage en place. En accord avec le proviseur, l’entrée arrière a été laissée ouverte pour ceux qui voulaient aller en cours.
Clémentine, 15 ans, en seconde, explique à Libé vouloir se distinguer des syndicats étudiants et des gilets jaunes. «Certains sont pour les gilets jaunes, d'autres contre, alors on ne veut pas prendre parti. Nous voulons être un mouvement lycéen.» Sans surprise, les mêmes griefs reviennent dans la bouche des présents : Parcoursup, les suppressions de postes de fonctionnaires dans l'éducation nationale, le nouveau bac… Et le service national universel : «Ça ne nous plaît pas, c'est des milliards d'euros investis pour rien, qui pourraient l'être ailleurs. On va perdre un mois. Mais un mois, ça ne sert à rien, c'est trop court, on n'a pas le temps de s'impliquer», commentait Zino, 15 ans, en seconde. Il craint de se retrouver encadré par des militaires.
Dans plusieurs villes, les lycéens sont descendus dans les rues. Ainsi, à Limoges, 1 200 élèves ont manifesté, selon le ministère – et trois ont été interpellés, selon la police. A Bordeaux, six lycéens ont été interpellées dans une manifestation où la police a fait usage de flashballs et de lacrymos. Réaction des enseignants du lycée François Mauriac, soutenus par deux fédérations de représentants de parents d'élèves : «Nous avons vu des élèves chargés sans sommation, essuyer un usage intensif des gaz lacrymogènes, des coups de matraque et être visés, tout au moins, par des fusils flash-ball.» Ils demandent la libération immédiate des élèves interpellés et «que leur sécurité soit garantie dans un espace public qui est aussi le leur, qu'ils puissent s'exprimer et manifester, ce qui est un droit».
A Toulouse, ils étaient 500 à converger vers la place du Capitole à midi, sous le ciel gris. Très vite, les premiers débordements, bris de mobilier urbain, tags, jets de bouteilles, ont dégénéré sur le boulevard Carnot. En retour rafales de lacrymos et interventions ciblées des policiers des brigades anti-criminalité. En fin d’après midi, le premier bilan donné par la Préfecture faisait état de deux policiers blessés et de sept interpellations chez les manifestants.
Des lacrymos ont aussi été utilisées pour disperser des jeunes manifestants à Grasse (Alpes-Maritimes), ainsi que dans le XXe arrondissement de Paris, devant le lycée Ravel, comme en atteste une vidéo postée par le Parisien.
Des images qui, en circulant sur les réseaux sociaux, ont choqué jusqu'aux élèves du lycée Charlemagne : «C'est ouf de gazer des enfants de 15 ans», s'indigne un élève.
En fin d'après-midi, le ministère de l'Education n'avait connaissance que d'un blessé : un élève brûlé dans le dos en mettant le feu à une poubelle à Marseille. Immédiatement pris en charge, il ne serait pas en danger de mort.
En gilet jaune ou pas
Certains lycéens ont explicitement inscrit leur mobilisation dans le sillage de celle des gilets jaunes en revêtant le fameux vêtement. Comme à Toulouse, où Julie, 17 ans, a expliqué, vêtue d'un dossard fluo : «Comme nous, ils sont confrontés à des décisions prises à Paris sans aucune concertation avec les gens concernés.»
On retrouve la question du rapport aux gilets jaunes dans les discussions devant le lycée Charlemagne de Paris. «La cause est bonne», assure un élève. «Les violences ne le sont pas», réplique un autre. «On n'est pas des gilets jaunes, on est un mouvement parallèle, d'accord avec eux sur certaines revendications. Il y a une souffrance énorme, tout le monde a peur d'être déclassé. Nous, on est dans un quartier privilégié, mais ça ne veut pas dire qu'on s'en fout. On voit la pauvreté des gens qui nous servent à la cantine, on voit que c'est difficile. On est sensibles à cet énervement général, à cette souffrance, on a envie de s'y intéresser.»
«De la même façon que les gilets jaunes, les lycéens subissent de plein fouet la politique d'austérité de ce gouvernement. Et à côté, nous avons aussi des revendications propres», explique à Libé Louis Boyard, le président de l'UNL. Il a rendez-vous au ministère mercredi après-midi. «Nous avons notre liste de revendications très claires : ouvrir des places à l'université pour arrêter cette sélection, permettre à tous les élèves, où qu'ils soient, de préparer les mêmes spécialités pour le bac. Et stopper net avec cette idée de contrôle continu au bac, vu que les notes n'ont pas la même valeur selon le lycée. Et il faut abandonner cette réforme de la voie professionnelle qui n'apporte rien de bien. Et ce service national universel qui coûte cher pour rien.»
Blanquer minimise
Le ministère sera-t-il réceptif et en mesure de répondre ? «Je retourne la question : ont-ils vraiment le choix ?» réplique le jeune syndicaliste. «Dans l'histoire, les mouvements ont du poids quand la jeunesse s'y met. Le gouvernement le sait et a peur.» Sur Facebook, l'UNL a posté le guide du blocusard.e, avec une remise à jour à la dernière édition. On trouve un paragraphe fourni sur les chants et slogans «parce qu'un blocage c'est long, et qu'il faut tenir». Et une note : nécessité de discuter avec la direction de l'établissement pour éviter d'avoir les forces de l'ordre dans les cinq minutes qui suivent. «Il est assez choquant de voir la violence de la répression policière ce lundi, avec souvent l'usage de gaz lacrymogènes. On la condamne et on appelle au calme.»
En attendant d'apporter une éventuelle réponse, le ministre de l'Education Jean-Michel Blanquer, comme la plupart des membres du gouvernement, a annulé ses déplacements ce lundi, notamment pour ne pas mobiliser de forces de l'ordre vu le contexte. Invité de LCI à la mi-journée, il a tenté de minimiser ce mouvement en rappelant qu'il y a 4 000 lycées sur le territoire. Selon lui, les blocages sont rendus possibles par «une toute petite minorité qui en bloquant l'entrée réussit à créer du désordre». Le ministre a semblé également exclure la possibilité d'une «contagion» du mouvement des gilets jaunes vers les lycéens : «La réforme du lycée a été faite après la consultation de 40 000 lycéens. Il n'y a pas de raison rationnelle pour que la contestation des gilets jaunes ait un impact sur les lycées.»