Menu
Libération
droit de suite

Marseille : après le drame, la justice fait le tour des propriétaires

Copropriétaires, syndic, élus, Marseille Habitat… Les enquêteurs tentent de déterminer les responsabilités dans l’effondrement des immeubles, alors que les signes avant-coureurs s’étaient multipliés.
Lors de la marche blanche organisée le 10 novembre par les habitants du quartier de Noailles. (Photo Patrick Gherdoussi)
par Stéphanie Harounyan, correspondante à Marseille
publié le 4 décembre 2018 à 20h56

Un dispositif «proche» de celui «adopté en cas d'attentat terroriste», a confié un responsable de la direction interrégionale de la police judiciaire, en évoquant l'enquête sur l'écroulement des immeubles d'Aubagne. Une centaine d'enquêteurs, une cinquantaine de perquisitions, une centaine d'auditions, des expertises poussées sur les gravats des bâtiments effondrés… Après trois semaines d'investigations intensives, c'est désormais trois magistrats du pôle accident collectif du tribunal de grande instance de Marseille qui vont tenter de déterminer les causes de l'effondrement des deux immeubles marseillais et les responsabilités de la catastrophe.

Pompiers

Le 27 novembre, le parquet de Marseille a ouvert une information judiciaire contre X pour «homicides involontaires» aggravés par «violation manifestement délibérée d'une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement» et «mise en danger de la vie d'autrui». «A ce jour, les causes de l'effondrement de ces immeubles ne sont pas établies», a précisé le procureur de la République de Marseille, Xavier Tarabeux. Première étape, déterminer qui, du numéro 63 ou du numéro 65, a entraîné l'autre dans sa chute. Pour reconstituer l'histoire de ces deux immeubles, les policiers ont multiplié les perquisitions chez les protagonistes du dossier. A commencer par les différents services de la mairie de Marseille et le siège de son bailleur social, Marseille Habitat, propriétaire du numéro 63. Ce bâtiment, particulièrement dégradé, avait été racheté au terme de dix ans de procédures et muré en attendant sa réhabilitation et un nouvel usage.

L'autre immeuble effondré, le numéro 65, n'était pas en meilleur état. Cette copropriété privée, dont neuf des dix appartements étaient habités, avait multiplié les signes inquiétants ces derniers mois. Le 19 octobre, les pompiers avaient dû intervenir sur place après une alerte sérieuse. Tous les habitants de l'immeuble avaient dû être évacués par les fenêtres… avant de réintégrer les lieux, le lendemain, après le passage d'un expert. Seul le premier étage avait fait l'objet d'un arrêté de péril imminent avec interdiction d'y habiter avant la réalisation de travaux d'urgence. Pour les résidents des autres étages, il n'y avait pas lieu de s'inquiéter, selon les expertises menées. Cinq d'entre eux, plus trois invités présents au moment du drame, périront dans l'effondrement du bâtiment. Dont Marie-Emmanuelle, une artiste verrière de 56 ans qui habitait un appartement du cinquième étage depuis deux ans. «On s'est constitué partie civile. Pour avoir accès au dossier il faut à présent que le juge nous convoque», explique David Metaxas, l'avocat lyonnais, qui défend le frère de la victime. Pour ce bâtiment, les enquêteurs de la PJ ont perquisitionné le syndic, le cabinet Liautard, ainsi que les copropriétaires de l'immeuble, parmi lesquels figure Xavier Cachard. Cet avocat, vice-président (LR) délégué aux finances du conseil régional Paca, a été suspendu de «toutes ses délégations» par le président de la région, Renaud Muselier, «dans un souci de transparence», a annoncé ce dernier dans un communiqué.

Péril

Si la mairie n'est pas propriétaire de cet immeuble, elle est légalement compétente en matière de péril, même dans un immeuble privé, dans le cas où l'état du bâtiment menace la sécurité des habitants. Les magistrats instructeurs vont devoir notamment déterminer dans quelle mesure la ville a rempli ses obligations sur ce point. Et aussi dans quelle mesure l'expert venu vérifier l'état du bâtiment a fait convenablement son travail, puisque les habitants ont été autorisés à réintégrer leurs appartements. Après les auditions et les perquisitions, l'enquête «va rentrer désormais dans une phase d'analyse des données et d'expertise», a précisé la PJ. Un travail qui pourrait prendre plusieurs semaines.