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Témoignages

Marseille : «Fabien était mon fils, mais aussi mon copain»

Effondrements de la rue d'Aubagne à Marseilledossier
Dans l’effondrement du 65, rue d’Aubagne, huit personnes sont mortes. «Libération» retrace le parcours des habitants ou amis de passage qui ont péri le 5 novembre.
La «marche de la colère», le 14 novembre dans les rues de Marseille. (Photo Patrick Gherdoussi)
par Tonino Serafini et Stéphanie Harounyan, (à Marseille)
publié le 4 décembre 2018 à 20h56

Certains habitants du 65, rue d’Aubagne ont échappé à la mort à quelques minutes près. Comme Rachid, descendu dans la rue pour acheter des cigarettes. A peine sorti, son immeuble s’est effondré comme un château de cartes. Chez lui, se trouvaient encore Taher et Cherif, deux amis qui lui avaient rendu visite. Ils font partie des huit morts recensés dans le drame du quartier de Noailles. Libération a tenté de reconstituer leurs biographies.

Fabien, artiste peintre, 52 ans

C'est une photo de mariage. Fabien, hilare, fringué comme tous les jours, pose avec sa femme Dominique, elle-même coiffée d'un simple bout de tulle blanc. «Ce jour-là, raconte Guy, le père de Fabien, ils sont allés sur la Corniche, là où il y a la statue pour les rapatriés. Ils ont tourné trois fois autour et voilà, ils étaient mariés !» Cette histoire ressemble à Fabien, «drôle et libre». L'artiste peintre de 52 ans habitait au troisième étage du 65, rue d'Aubagne. Il avait emménagé là il y a un an et demi environ, après avoir quitté le quartier d'Endoume. Seul. Dominique est morte il y a quelques années. Leur fils Léo, la vingtaine, vit ailleurs désormais. Pour Fabien, Noailles et la Plaine, «c'était ses quartiers d'hiver, l'été c'était le Vieux-Port», se marre Anne, une amie de longue date. Entre «ses deux mondes», Fabien s'est choisi une vie où la fête et les amis se taillent une bonne place. «Un mec très généreux, insiste Anne. Si jamais il avait une boîte de raviolis dans son placard, même si c'était pour une personne, il invitait trois copains pour la partager.» C'est dans un bar du Vieux-Port qu'elle a fait sa connaissance, il y a une vingtaine d'années. Guy, le père de Fabien, était là lui aussi, partenaire régulier de ces virées nocturnes. «Ensemble, on a fait toutes les boîtes de Marseille, annonce l'octogénaire. Ça a été mon fils, mais aussi mon copain.» Guy, lui aussi artiste, mille vies au compteur, avait montré la voie d'une vie bohème. Fabien a suivi le chemin, volant très jeune les pinceaux paternels et ne les lâchant plus ensuite. «Il était artiste, mais surtout dans sa tête, plaisante Guy. Il peignait un peu comme Picasso, abstrait. Il exposait comme ça, dans les bars, mais c'était plus un plaisir.»

La vie et les copains d'abord, même si ces dernières années, la maladie avait imposé ses contraintes. «Son corps ne lui permettait plus trop de suivre, sauf que parfois, il oubliait, sourit Anne. On a cru mille fois qu'on allait le perdre. Il a finalement fallu des tonnes de béton pour lui enlever la vie.» Le matin du 5 novembre, quelques minutes avant le drame, Fabien avait appelé sa mère pour lui dire qu'il n'arrivait plus à ouvrir sa porte.

Marie-Emmanuelle, artiste verrière, 56 ans

C'est l'histoire d'une famille doublement endeuillée. Marie-Emmanuelle est morte dans l'écroulement de l'immeuble du 65, rue d'Aubagne, le 5 novembre. «Quand ma mère a compris, en regardant les informations à la télévision, que le bâtiment qui s'était effondré était celui où habitait ma sœur et qu'elle se trouvait sous les décombres, elle a fait un AVC. Elle est morte trois jours plus tard», raconte Paul, un Isérois de 53 ans qui a donc perdu pratiquement au même moment sa sœur et sa mère. Il s'est constitué partie civile. «Nous attendons que le juge nous convoque pour avoir accès au dossier», précise David Metaxas, son avocat. «Le décès de ma sœur m'a été officiellement annoncé deux jours après l'effondrement, le 7 novembre, par la police scientifique qui a recoupé son identité avec ses empreintes digitales», poursuit Paul. Au téléphone, l'homme a parfois du mal à contenir son émotion. Notamment quand il raconte, que très vite, il a redouté le pire pour Marie-Emmanuelle : «Dès que j'ai appris l'effondrement, je n'ai cessé de l'appeler sur son portable. Je lui écrivais aussi des SMS. Mais elle ne répondait pas. Ce qui n'était pas dans ses habitudes.»

Marie-Emmanuelle, qui travaillait le verre, habitait rue d'Aubagne depuis qu'elle s'était installée à Marseille, il y a deux ans. «Elle aimait beaucoup le côté mélangé de cette ville. Avant, elle habitait Grenoble.» Leur mère avait 90 ans. «Mais elle avait toute sa tête et toutes ses jambes», dit Paul. La veille du drame elle avait fait «une belle promenade, puis une partie de scrabble» avec ses amies. «Elle est la neuvième victime de la rue d'Aubagne», dit le fils. Quand Paul s'est rendu à Marseille pour rapatrier le corps de sa sœur, il a été «très bien reçu par la police scientifique». En revanche, aucun élu municipal ne s'est manifesté. Il retournera à Marseille au printemps pour disperser les cendres de sa sœur en Méditerranée, en présence de ses amis.

Simona, étudiante, 30 ans, et Niasse, 26 ans

Depuis l'Italie, la France est perçue comme un pays nettement plus organisé que la péninsule, où les administrations chargées de veiller à la bonne marche des choses font leur travail. Pourtant, c'est à Marseille que Simona, étudiante italienne originaire de Tarente, est morte dans l'effondrement d'un immeuble dont la vétusté avait été maintes fois signalée aux autorités publiques par ses occupants. Simona, 30 ans, habitait au troisième étage, en face de chez Fabien. Cela faisait quelques semaines qu'elle avait emménagé dans cet appartement. C'était une «fille spontanée, souriante», racontent ceux qui l'ont côtoyée dans le quartier. Simona venait de terminer une formation continue à la faculté d'économie et de gestion. Pour la suite, la jeune femm envisageait de se lancer dans la fabrication de tissus à base de chanvre. Elle était suivie pour cela par une pépinière d'entreprises de Marseille, sa ville d'adoption. Tarente, sa cité natale, se situe dans les Pouilles, en Italie du Sud. Pour ses funérailles, la commune a décrété une journée de deuil. Le 19 novembre, lors de la remise des diplômes de sa section, l'université d'Aix-Marseille a également observé une minute de silence en hommage à l'étudiante.

La veille de la catastrophe, Simona hébergeait chez elle Niasse, un ami italien d'origine sénégalaise. Sans famille directe à Marseille, ce sont ses papiers, retrouvés sur lui, qui ont permis de déterminer son identité. Selon le site SeneNews, le jeune homme était arrivé il y a quelques mois dans la ville. La mairie a pris en charge le transfert de son corps pour l'acheminer jusqu'au Sénégal, où il est désormais enterré.

Julien, réceptionniste, 30 ans

Il venait de fêter son trentième anniversaire, il y a deux semaines, entouré de ses amis. Ses cadeaux, une guitare et une basse, même si «c'était surtout un excellent danseur de salsa», précise Léa, une amie proche. Julien avait débarqué à Marseille il y a deux ans. Avant, ce Franco-Péruvien vivait à Lima, au Pérou, où ses parents résident encore. «Mais avec tout un groupe de copains, on avait décidé de rentrer en France», raconte Léa. Ils choisissent Marseille. Julien travaille comme réceptionniste dans un hôtel du Vieux-Port, face à la mer. La mer, il l'a arpentée des années durant, en officiant comme conférencier sur les bateaux de croisière. «Il évoquait les pays que les gens allaient visiter, poursuit Léa. C'était quelqu'un de très cultivé, et très tourné vers les gens. Du genre très attractif amicalement.» Ses amis ne venaient pas souvent rue d'Aubagne, où Julien avait emménagé en juin. «Il était content de l'appartement au début et moins après», dit Léa. D'ailleurs, Julien avait prévu de quitter son logement pour rejoindre une colocation, fin novembre. Le matin du 5 novembre, il n'aurait pas dû être chez lui. On l'attendait à l'hôtel à 7 h 30, mais le jeune homme n'avait pas pu se rendre à son travail : sa porte d'entrée ne fermait plus.

Ouloume, plongeuse dans un restaurant, 55 ans

Ouloume avait d'abord quitté Hahaya, aux Comores, pour vivre à Mayotte avant de rejoindre Marseille. C'est là que sont installés ses plus grands enfants. Le plus jeune de la fratrie de six, Elamine, n'a que 9 ans. Le matin du 5 novembre, Ouloume l'a emmené à l'école non loin de son domicile de la rue d'Aubagne. Elle est ensuite rentrée chez elle, quelques minutes avant l'effondrement. «Elle devait juste récupérer des papiers», ont déclaré à la presse ses fils, Imane et Abdou. Leur mère, qui faisait la plonge dans un restaurant le soir, était une femme «courageuse, qui s'entendait avec tout le monde», ont-ils ajouté. La famille n'est rentrée que dimanche des Comores, où ils sont partis enterrer Ouloume.

Taher, 58 ans, et Cherif, 36 ans

Ce dimanche soir, Rachid, locataire du deuxième étage du 65, rue d'Aubagne, avait invité à dormir deux amis. Taher, un Tunisien de 58 ans, et Cherif, 36 ans. De Taher, on ne sait rien à part son pays d'origine. Cherif, lui, est arrivé d'Algérie en 2016 à Marseille, où il avait de la famille. «Il était venu trouver un monde meilleur», résume Lynda, la fille de la cousine de Cherif. A Marseille, en attendant ses papiers, le jeune homme vend des cigarettes à la sauvette, à Noailles. Dans le quartier, tout le monde connaît ce garçon «très sociable, très souriant, qui se sentait invincible», raconte Lynda. Très famille aussi, aidant souvent les cousines en accompagnant les petits à l'école. «Sûrement parce qu'il avait laissé sa femme et sa fille de 4 ans en Algérie», confie sa cousine. Cherif habitait chez son oncle, mais passait régulièrement le week-end chez son ami Rachid. La dernière fois que Lynda l'a vu, c'est deux jours avant l'effondrement des immeubles. «Il était passé chez son oncle pour prendre une douche, car il n'y avait pas d'eau chaude chez Rachid.» Au matin du drame, Rachid est sorti acheter des cigarettes. L'immeuble s'est effondré quelques minutes après. Le corps de Cherif a été rapatrié en Algérie, où il a été enterré.