Menu
Libération
Éditorial

Improbable métamorphose

publié le 9 décembre 2018 à 20h56

Quelques minutes pour sauver un quinquennat. Quand il s'adressera à la nation, ce lundi soir, Emmanuel Macron jouera la partie la plus difficile de sa courte vie politique. Il s'est hissé au sommet en dix-huit mois. En dix-huit mois, il est retombé au bas de la pente. Plus impopulaire que tous les présidents de la Ve République au même stade de leur mandat, accusé d'incarner à lui seul l'arrogance de la classe dirigeante, pris personnellement pour cible par des dizaines de milliers de manifestants, il doit retourner en un discours une opinion ameutée contre lui. Mission impossible ? Sans doute espérait-il samedi une décrue de la marée jaune qui menace de noyer sa présidence. Mais rien n'y fait. Le mouvement ne faiblit pas. En dépit des mesures prises pour dissuader les protestataires - dont certaines sont inquiétantes pour les libertés publiques -, la mobilisation retrouve l'étiage des week-ends précédents. Numériquement, elle reste circonscrite : 10 000 manifestants à Paris, moins de 150 000 dans toute la France. On a vu des foules bien supérieures contester les pouvoirs. Mais celle-ci se sent soutenue par une majorité de Français. Alliance tacite mais redoutable. Le macronisme se délite. La colère populaire demeure. Dans cette novlangue qui caractérise les partisans de la «start-up nation», certains macronistes appellent de leurs vœux un «blast social». Anglicisme pour anglicisme, c'est le flop politique qui menace. Un vague mea-culpa, quelques concessions disparates de pouvoir d'achat, et le discours, selon le style désuet qu'affectionne le Président, aura l'effet d'un cautère sur une jambe de bois. Il y faut d'abord une amélioration nette, sonnante et trébuchante, du sort des travailleurs pauvres qui forment le cœur du mouvement. Les gilets jaunes le disent : ils n'ont pas occupé les ronds-points pendant trois semaines pour se contenter de miettes, seraient-elles plus grosses. Ils ne rentreront pas chez eux pour quelques euros de plus. La révolte, de surcroît - dans ce qu'elle a de sain et de progressiste - est égalitaire. Autant que leur ampleur, c'est la mauvaise répartition des sacrifices qui les rend douloureux. Sans un geste qui mette à contribution les plus riches, la vindicte persistera. On semble écarter tout rétablissement de l'impôt sur la fortune. Voilà pourtant une annonce propre à accréditer l'idée d'un «blast social». Reste le plus difficile : la personne du Président. Les hommes changent rarement, du moins en profondeur. Jupiter le peut-il ? Quand on a théorisé la monarchie républicaine, peut-on descendre de son trône sans monter sur l'échafaud, face à un peuple qui aime un temps les rois mais leur coupe ensuite la tête ? Improbable métamorphose. Il faut passer de la réforme impérieuse au compromis social, de la marche forcée à la construction patiente. Le même président le peut-il ? C'est toute la question.