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En Rhône-Alpes, la «gratuité» annoncée des manuels scolaires inquiète les libraires

Laurent Wauquiez compterait convertir l'ancienne région Rhône-Alpes à l'acheminement direct et gratuit des manuels scolaires. Une mesure accueillie avec défiance dans les librairies.
Le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes Laurent Wauquiez à Saint-Quentin, le 6 décembre. (François Lo Presti.AFP)
par Daphné Gastaldi, à Lyon
publié le 11 décembre 2018 à 12h22

Les promesses de campagne de Laurent Wauquiez semblent déjà bien loin. Sans avoir été concertés, les libraires de Rhône-Alpes ont eu la mauvaise surprise d’apprendre que la Région comptait changer le mode de financement des manuels scolaires. Le but ? Les acheminer directement dans les lycées et gratuitement pour les familles. De quoi déstabiliser tout le tissu de librairies indépendantes.

Pourtant, dans un courrier du 19 novembre 2015, Laurent Wauquiez garantissait son soutien pour le maintien des rayons scolaires en magasins : «En tant qu'ancien normalien, j'attache beaucoup d'importance à la nécessité de redonner à nos jeunes le goût de la lecture. Or, je suis convaincu que vous devez être au cœur de cette ambition car la pérennité des librairies indépendantes en dépend», écrivait le futur président de région LR.

Circuit flou

Jusqu’à présent, les familles disposaient de la carte Pass’Région, comprenant un crédit entre 50 et 100 euros pour payer les manuels scolaires. Les familles devaient parfois compléter mais pouvaient revendre les ouvrages en fin d’année. La Région envisagerait d’acheter les livres par un système d’appel d’offres pour les distribuer gratuitement aux lycées. Si la démarche paraît louable pour les familles, le flou demeure sur l’organisation d’un tel circuit et sur son budget. Catastrophés, les libraires, constitués en collectif, ont été reçus lundi. Ils estiment ne pas avoir les reins assez solides pour répondre à un marché public et demandent que le Pass’Région soit adapté à cette exigence de gratuité.

Dans un courrier que Libération a pu consulter, leur collectif alerte Laurent Wauquiez sur la casse à venir, dans un contexte de concurrence exacerbée par la vente en ligne. «L'impact serait aussi humain, des dizaines d'emplois étant directement liés à ce dispositif, voire des centaines de postes si certaines librairies devaient fermer, comme cela a été le cas dans les régions ou la "gratuité" a été déployée», écrivent-ils. Selon leurs estimations, près de 150 librairies, y compris les chaînes (Decitre ou Gibert), seront touchées par cette mesure en Rhône-Alpes. Cela provoquerait près de 15 % de perte de chiffre d'affaires en moyenne et jusqu'à 25 % pour les plus grandes. A la Librairie des Bauges à Albertville (Savoie), on s'inquiète. «Je n'ai pas une armada de personnes pour répondre à des appels d'offres, pour stocker ou distribuer les livres aux lycées», met en garde le gérant, Thomas Berrond.

«Dialogue de sourds»

A ce stade, l'exécutif régional n'a pas souhaité répondre à nos questions «tant que les discussions sont en cours». Il s'agirait plutôt d'«un dialogue de sourds» pour Alain Bélier, cogérant de la librairie Lucioles à Vienne (Isère). «On parle de "gratuité" mais les consommables comme les cahiers d'exercices ne seront pas financés par exemple. C'est un plan de communication grossier», regrette-t-il.

L'objectif des institutions serait de s'aligner sur ce qui se pratique déjà chez leurs voisins d'Auvergne depuis 2014. A la Scop Librairie Les Volcans, il a fallu s'adapter tant bien que mal. «On a perdu notre marge par rapport à la vente en magasin, de la fréquentation et des achats au rayon papeterie ou parascolaire. Ça fait le jeu d'Amazon», explique la gérante Martine Lebeau. Après avoir remporté quelques lots de l'appel d'offres, la Scop dresse un constat amer : elle ne fait aucun bénéfice sur les manuels. «J'entends les préoccupations de la Région par rapport au budget mais j'ai l'impression de rendre un service. Je ne sais pas si je continuerai», conclut-elle, en rappelant que l'appel d'offres a été en partie remporté par un grossiste du Sud de la France au détriment de l'économie locale.

Alors qu'une délibération doit être votée à ce sujet les 19 et 20 décembre, le groupe Socialiste et Démocrate à la Région accuse Laurent Wauquiez de «mettre en péril les librairies indépendantes» et de jouer sur l'idée d'«une fausse gratuité». Dans un contexte de réforme du lycée, le collectif de libraires demande un an de répit pour étudier toutes les possibilités. En espérant que le «normalien» Wauquiez les entende.